QUELQUES LIGNES POUR « CONVAINCRE »

 

Certains titres d’émissions de télévision laissent rêveur (« 1OO minutes pour convaincre ») et conduisent à penser que les mots sont utilisés aujourd’hui pour véhiculer un sens qu’ils n’ont pas. Il est, en effet, complètement impossible de convaincre qui que ce soit par des paroles, puisque la notion de conviction est indissolublement liée à l’expérience personnelle. En dehors de celle-ci, aucune conviction ne peut naître.

Cela commence quand on est tout petit. Notre mère a beau, par exemple, nous mettre en garde contre les dangers du feu, c’est seulement à l’occasion d’une brûlure, alors que l’on est soi-même confronté à l’expérience, que celle-ci nous fait comprendre les mises en garde de notre mère. C’est à partir de l’expérience de la douleur que l’on porte en soi la « conviction » que le feu brûle et pas avant… C’est le début d’une grande aventure qui vient nous inciter maintenant à supposer que l’attitude de notre entourage est toujours porteuse de bonnes intentions, qu’elle nous évite bien des désagréments en nous procurant tous les avantages. Hélas ! Que d’illusions en perspective ! C’est ignorer que ce même entourage a adopté le raccourci de beaucoup de croyances pour masquer son défaut de vigilance et de réflexion.

Si nous avions réellement intégré cette donnée fondamentale que c’est l’expérience seule qui permet d’accéder à la conviction, il va de soi que celle-ci aurait une tout autre allure, que la peur d’en témoigner n’existerait pas, que sa valeur, même réduite, suffirait à mettre en pièces toute la masse de données qui nous encombrent mentalement. Cette surcharge fait souvent obstacle à l’émergence d’une prise de conscience qui viendrait avantageusement augmenter le contenu de notre conviction, c’est-à-dire, étymologiquement : « ce que nous avons vaincu avec » l’expérience.    

De nos jours, c’est le contenu intellectuel qui est mis en valeur et ceci explique les jeux sociaux qui sont pratiqués, avec, dans l’arène, les grands chefs religieux, les hommes politiques, les commerciaux…, etc., dont le maître mot est « convaincre »

Dans le contexte où ce principe est appliqué, on peut dire qu’il s’agit plutôt d’une tentative de manipulation visant à retirer à un interlocuteur son droit à la réflexion personnelle, à l’expérience. C’est ne pas reconnaître sa liberté. C’est lui démontrer la supériorité d’un point de vue en mettant en avant une argumentation préfabriquée pour faire infléchir son opinion. Ces manœuvres ne sont pas destinées à développer son expérience. Il s’agit là d’une technique de persuasion, qui ne met en mouvement que la périphérie de l’être humain, jamais son intériorité. Quand l’intériorité de l’être est touchée par des mots, cela signifie que les mots ont éveillé le souvenir d’un événement vécu similaire (donc d’une expérience) qui remonte à la surface.

La seule chose que l’on soit en droit de faire vis-à-vis de quelqu’un à qui l’on souhaite épargner une expérience douloureuse ou que l’on aimerait conseiller lors d’un choix décisif, c’est de lui présenter les différentes possibilités qui s’offrent à lui, avec les tenants et les aboutissants de chaque option, pour qu’il puisse décider.

L’acquisition de l’autonomie est un aboutissement qui ne peut écarter le combat contre les croyances, comme, par exemple, celle qui consiste à croire que la nature a les moyens de nous conduire vers un mieux-être. En être « convaincu », ne veut-il pas dire avoir déjà jeté le contenu de son armoire à pharmacie ?

 

Henri-Claude RAOUL