Liberté de choix et conscience


« Avant que le coq ne chante, tu m’auras renié trois fois ! ». Selon les témoignages de ses disciples, c’est avec une phrase lapidaire de ce genre que Jésus aurait prévenu Pierre de son prochain reniement et nous allons voir que cette anecdote présente un intérêt particulier du point de vue de la liberté de manœuvre dont nous disposons lors de certaines circonstances et la conscience que nous mettons à les vivre.

Le premier élément qui brouille un peu les données couramment admises est l’aspect catégorique de la prédiction qui ne semble pas laisser d’autre alternative à Pierre que celle qui lui est présentée d’une façon claire et incisive. Nous sommes plus habitués à l’idée que l’être humain dispose à tout moment, même les plus difficiles, de son libre-arbitre. Et pourtant, dans cet exemple, l’hypothèse contraire semble s’en dégager et vient quelque peu bousculer cette croyance. Comment se fait-il donc qu’une telle prévision ait pu être formulée avec une certitude aussi absolue ?

La bonne foi de Pierre ne fait, a priori, aucun doute, mais, pour autant, il nous paraît imprudent de l’accuser d’innocence, tout simplement à cause de sa condition humaine. D’une certaine façon, Pierre devait être « obligé » ou « contraint », non pas parce que Jésus avait prédit et que les choses devaient fatalement se dérouler de la façon annoncée, mais parce que quelque chose dans sa propre histoire devait infailliblement le conduire à ce type d’attitude compromettante à souhait. Cette « chose », vous l’avez deviné, c’est la nature de son karma. (Ce terme vient du sanscrit « krmi » qui signifie « faire » et symbolise l’action dans toute son étendue et ses conséquences.)

Force nous est d’admettre que Pierre ne devait pas être à un coup d’essai et que les enveloppes de son âme devaient contenir des taches d’ombre dont les causes n’étaient pas en rapport avec des actions d’éclat mais plutôt, pour rester dans le contexte de notre étude, avec des actions douteuses liées à des désaveux, des dérobades, des mensonges de toutes sortes et des affirmations contraires à sa conviction.

C’est après avoir discerné la présence de cette importante mémoire dans l’âme de Pierre que Jésus a pu évaluer la probabilité de ses effets sur lui quand ce dernier se trouverait de nouveau en situation de désaveu. Il y avait d’un côté un homme de bonne foi et de l’autre un être possédant le Savoir. Et cet être-là savait que des situations de désaveu allaient se présenter pour Pierre. Cela ne représentait finalement pas un gros risque de parier que les effets de cette mémoire seraient les plus forts, puisque la conviction de Pierre n’avait pas encore été éprouvée. Sa bonne foi était à mettre en rapport avec de la naïveté plutôt qu’avec une expérience d’homme mûr. La force de cette bonne foi était de ce fait bien inférieure à celle que pouvaient déployer les forces inconscientes réactivées par une situation en résonance avec la nature du karma de Pierre. C’est donc l’inégalité des forces en présence qui a permis le pronostic.

À la suite de la prédiction de Jésus, Pierre était complètement déstabilisé et en proie à un conflit intérieur hors du commun débouchant sur des questions sans réponses. Et voilà que les situations de désaveu se présentent avant que Pierre n’ait résolu son conflit… On comprend que la présence de sa mémoire le pousse à un comportement « obligé » et occulte, d’emblée, la perspective d’un dénouement différent, tout simplement parce que cette perspective avait été délibérément écartée lors de situations antérieures identiques et ne figurait plus sur sa liste de choix possibles.

Lors des trois occasions de prendre « conscience » de son problème, Pierre a complètement oublié la prédiction, il est entièrement sous l’emprise de son karma agissant et incapable de lui opposer la moindre résistance. Autant dire qu’il est le jouet des forces mises en mouvement par la nature de son karma. Tout se passe au niveau inconscient, puisque Pierre n’a pas « conscience » de ce qui est en train de se jouer. Et le chant du coq survient à point nommé pour mettre un terme à ce jeu en faisant naître un souvenir, celui d’une promesse cuisante qui place immédiatement Pierre en face de la médiocrité d’un comportement faux. Cette reconnaissance amorce aussitôt le début d’une prise de conscience, qui déclenche simultanément un changement intérieur. C’est alors seulement que l’édifice de tout l’ancien comportement commence à s’effondrer et cet effondrement provoque à son tour un relâchement dans le lien qui relie Pierre à ces forces activées. Cela ne veut pas du tout dire que l’intensité de ces forces bascule au niveau de la conscience.

On peut remarquer en effet que la prise de conscience de Pierre n’est encore que balbutiante, car si elle avait été fermement établie, Pierre aurait courageusement effectué le chemin de son reniement en sens inverse pour formuler une autre réponse aux témoins de son désaveu. L’intensité de cette prise de conscience est donc variable et doit elle aussi être alimentée par la pose de nouveaux actes pour devenir une conviction.

Cet épisode remarquable démontre qu’il ne suffit pas d’avoir connaissance des zones d’ombre pour les faire disparaître. Elles ne s’en vont pas à la suite d’un tour de magie ou d’une acrobatie mentale. Il reste un long chemin à faire. Quelque chose doit se passer pour actionner l’éveil de la conscience, en dehors de tout phénomène mental, quelque chose qui se produit dans les cas particuliers où nous sommes en situation de voir un conflit pendant que nous le vivons ou immédiatement après l’avoir vécu. Cela pourrait s’apparenter à une forme de présence à soi-même associée à une vigilance de toutes ses facultés.   

Cette étude montre comment le libre-arbitre humain peut être muselé par l’intensité des conséquences de ses anciens choix, ce qui revient à dire que l’être humain ne dispose plus de son libre-arbitre dans les situations conflictuelles à répétition. Il est au contraire conduit par les vibrations de son propre karma vers des situations qui le contraignent à un comportement en résonance avec lui, même à son corps défendant, jusqu’à saturation, jusqu’à épuisement…, jusqu’au fameux déclic qui va provoquer un réveil, un effondrement de l’ancien et l’émergence d’une volonté complètement nouvelle.

Il faut entendre par "volonté complètement nouvelle" une volonté qui n’a encore jamais eu l’occasion de se manifester ouvertement, ou qui a été tellement refoulée qu’une hypothétique résurgence lui imprimerait de toute façon un caractère inattendu et nouveau. La naissance d’une telle volonté se fait par un travail de mise en mouvement et d’élaboration d’une énergie de conscience engagée dans une nouvelle direction.

Il est à remarquer pourtant que l’émergence d’une telle volonté insécurise au plus haut point parce qu’elle débouche sur l’inconnu et la crainte de perdre une certaine maîtrise mentale, alors que l’ancien nous confine et nous retient dans ce qui nous est familier, ce qui reste plus rassurant, même si des besoins insatisfaits en résultent.

La liberté de choix dont nous disposons dans des situations qui nous mettent en face de nous-mêmes réside principalement dans notre façon de les vivre. Là encore, les témoignages vieux de plus de deux mille ans nous ont indiqué les deux choix possibles. Lors de sa crucifixion, en effet, Jésus fut entouré de deux individus dont les passifs présentaient quelques points communs. Or, leurs réactions dans une situation identique furent diamétralement opposées puisque l’un en profita pour se charger encore davantage alors que l’autre s’ouvrit à la reconnaissance de sa responsabilité dans ce qui lui arrivait, et par le fait même, parvint à déployer in extremis une force de conscience capable de neutraliser tous les reflux négatifs qui devaient encore le frapper, provoquant sa libération instantanée. Comportement remarquable et tellement significatif d’une nouvelle volonté émergeante ! à noter, toutefois, que ceci se passait dans la proximité d’un Être au rayonnement exceptionnel, permettant une accélération sensible des processus et des dénouements. Certains cas de guérison spontanée sont probablement dus à l’intervention d’une force similaire dès qu’un degré plus élevé de conscience offre la possibilité d’une liaison avec elle.


                                                                                                Henri, Claude et Raoul.