Douze Présents
pour NOËL

 

C’était l’Avent, c’est-à-dire juste avant Noël. Et cela voulait donc dire que Noël approchait à grand pas…

La cinquantaine bien sonnée, Jean Passe avait déjà une nombreuse descendance. Pas moins de douze enfants, équitablement partagés entre garçons et filles.

Et voilà qu’avec élisabeth, sa bien-aimée, âgée de quarante-trois ans, ils attendaient, oui, leur treizième !

Bien qu’elle fût toujours prête à s’activer pour sa maisonnée, il fallait impérativement qu’elle s’arrête et se repose…, car elle en faisait trop !

Alors Jean avait décidé que, pour le dernier mois de la grossesse, elle devait aller dans une maison de repos, dans un joli chalet de montagne, où elle serait choyée et n’aurait rien à faire, si ce n’est à tranquillement se préparer au grand événement de la naissance.

Elle avait un peu résisté, mais, touchée par la sollicitude de son bien-aimé mari et réellement très fatiguée, elle avait fini par accepter.

Et c’était là qu’elle était depuis maintenant trois semaines, et le terme approchait…

Garçon ou fille ? Ils ne le savaient pas, et ne voulaient pas le savoir. Connaître le sexe de leur enfant avant sa naissance grâce à l’échographie ne les intéressait pas. Ils voulaient vivre l’événement de la découverte en direct.

En attendant, Jean, seul avec ses douze déjà nés, avait fort à faire ! Il devait s’occuper de la ferme, de la maison, des courses, de la cuisine…

Heureusement, il était bien secondé par ses aînés, Joseph, dix-neuf ans, qui l’aidait beaucoup dehors, et la douce Marie, dix-sept ans, qui remplaçait la mère à la maison.

Après ceux-là, se succédaient en une harmonieuse alternance :

Jean-Baptiste, seize ans, Mathilde, quinze ans, François, quatorze ans, Noémie, douze ans, Jacques, dix ans, Alexandra, huit ans, David, sept ans, Stéphanie, six ans, Pierre, quatre ans et Corinne, la petite dernière, deux ans seulement.

Dans trois jours, ce serait Noël. Et il fallait préparer la maison. Maman serait-elle revenue à ce moment-là ? Ça dépendait. Ça dépendait quand allait naître le bébé…

Si le bébé n’était pas encore né, elle revenait, de toutes façons, pour passer Noël avec toute la famille Passe.

Par contre, s’il naissait avant, il faudrait improviser…

En attendant, la crèche, le sapin, la déco de Noël… Jean mit son « personnel familial » au travail, et bientôt la grande maison se mit à bourdonner comme une ruche.

La première, la crèche fut mise en place, et, dans son enthousiasme, Stéphanie avait déjà mis en place le « petit Jésus » dans sa mangeoire remplie de paille et de foin…

Alors, Jean intervint :

-         Ah non ! Le petit Jésus…, pas encore ! Il n’arrivera que la Nuit de Noël.

Docile, Stéphanie rangea le santon provençal dans sa boîte, et le berceau improvisé demeura vide, avec, agenouillés devant, de part et d’autre, Joseph & Marie.

Lorsque, à droite de la cheminée, non loin de la crèche - érigée, quant à elle, juste sous la grande Croix à branches égales (sous laquelle se trouvait l’Ange tenant la banderole « Gloria in excelsis Deo »), sur le large rebord de la cheminée -, le sapin fut aussi mis en place (il avait été déplanté dans le bois voisin par Joseph et serait, plus tard, replanté au même endroit), tous voulurent placer un présent à son pied, spécialement pour le petit frère - ou la petite sœur - à venir, sans oublier, bien sûr, la Maman absente depuis plus de trois semaines.

Mais, bien que de respectable grandeur, le sapin était à peine assez large pour recevoir, à son pied, l’abondance et la taille des présents apportés par les douze.

C’est Jacques qui, le premier, déclencha la tempête. Il aimait les chevaux et passait beaucoup de temps à l’écurie. Il voulait que le petit frère (il ne concevait pas que le nouveau-né puisse être une fille), comme le petit Jésus dans la crèche, ait une grosse botte de foin pour pouvoir, dès son arrivée, y être confortablement installé. Il était donc allé chercher une grosse botte de foin à l’écurie et l’avait placée juste devant le sapin.

Noémie, qui n’était pas contente, parce que cette grosse botte - qui, en plus, semait partout des brins de foin qu’il fallait ensuite balayer - prenait toute la place et écrasait le tricot qu’elle avait confectionné de tout son cœur pour que l’enfant attendu n’ait pas froid en ce frileux Décembre, fut la première à « faire du foin » !

Avec humeur, elle dit à Jacques que son présent était incongru, qu’il faisait des saletés, prenait toute la place et n’avait rien à faire ici.

Elle commença à vouloir retirer la botte de foin, mais, de façon inexplicable, le petit Pierre s’y cramponna et se mit à pleurer en s’écriant :

-         C’est pour Zésus ! C’est pour Zésus !

Devant les cris provenant du cœur de Pierre, Noémie renonça provisoirement.

Toutefois, comme les autres semblaient être aussi de son avis, blessé dans sa fierté, Jacques déclara tout de go :

-         Sans mon présent, je ne serai pas présent pour Noël !

À partir de ce moment-là, tandis que Jean était parti rendre visite à élisabeth, et bien que la douce et conciliante Marie, tout en pensant que Jacques exagérait quand même, s’efforçât de calmer l’orage, les douze se séparèrent en deux clans rivaux : Les pro-Jacques et les anti-Jacques. C’était une vraie « jacquerie » !

Mais comme le fougueux Joseph, prenant le parti de son frère Jacques, avait déclaré que, lui vivant, la botte resterait présente ici, personne n’osait tenter de l’ôter de là…

Bientôt, ils furent six : Mathilde, Alexandra, Noémie, Stéphanie et Corinne, donc les cinq autres filles soutenues par le délicat François, à décréter que si cette botte continuait à demeurer là, ils boycotteraient tout simplement la traditionnelle Veillée de Noël !

Si l’on ajoute à cela que Mathilde trouvait ridicule le tricot de Noémie, cela est largement suffisant pour comprendre que cette ambiance pré-Noëlienne était tout simplement exécrable !

De plus, le présent de David, qui voulait offrir son vieux vélo – lui aussi très encombrant, adossé à la botte de foin - au petit frère (dans l’espoir que le Père Noël, à la place, lui en apporterait un neuf !) suscitait également une large réprobation…

C’est dire si, en plus, l’atmosphère était orageuse, et, à son retour, le 24 à Midi, Jean trouva un climat de fronde dans la maison !

Alors Jean expliqua à chacun et à tous que, les présents de tous seraient agréables au Nouveau-Né et à la Mère, dès lors où ils étaient offerts avec Amour et que chacun(e), par son présent, était ainsi aussi présent devant l’Autel où l’on célébrait la Venue de l’Amour Divin sur la Terre.

Être présent sans présent à offrir, c’était comme n’être pas là, mais être physiquement absent avec un présent offert par Amour, c’est comme si l’on était présent pour la Fête de l’Amour…

Et c’est aussi pourquoi, bien que probablement absente à la Veillée parce que le terme était vraiment très proche, élisabeth avait aussi donné à Jean son présent pour mettre au pied du sapin.

Et ce présent, c’était des langes, confectionnés par elle, pour l’enfant à venir… Ainsi, même si elle devait être absente, la Mère serait aussi, là, quand même, présente.

Et le nouveau-né, pouvait-il être accueilli par seulement la moitié de la famille ? Qu’est-ce que c’était qu’une Fête de Noël dans ces conditions ?

Quant à Jean, il avait aussi l’intention de mettre son présent au pied du sapin et ce présent, s’il devait être là, ce serait l’histoire de la réconciliation générale des enfants de la grande famille Passe.

Car un Noël sans Amour fraternel, c’était encore bien pire qu’un sapin sans la présence de cadeaux !

Le discours de Jean fit son effet : honteuses et repentantes, les mutines baissèrent la tête et firent amende honorable ; seul le têtu François semblait encore vouloir faire de la résistance.

Son présent à lui, c’était une œuvre d’Art, une peinture qui représentait justement un sapin de Noël dont la base était ensevelie sous les cadeaux ; il y avait là des paquets de toutes tailles, de toutes formes, de toutes couleurs, mais rien qui ressemblât à une botte de foin… Pour l’y trouver sur son tableau, autant rechercher une aiguille dans… une botte de foin !

Alors, si la botte de Jacques devait rester là, François serait-il présent à la Veillée de Noël ? C’était la question que tous se posaient…

C’est alors que David, qui était un aficionado des films de cape et d’épée genre Zorro le justicier masqué, eut, en l’absence de François, déjà retiré dans sa dignité, une lumineuse idée : il suffisait de faire de cette botte une botte secrète et François ne saurait pas qu’elle était encore là !

Le tout était donc de la masquer avec autre chose… C’est là que Mathilde s’aperçut que la couverture rose qu’elle voulait offrir à sa future petite sœur (elle était sûre que c’était une fille !) était justement appropriée pour bien recouvrir la botte de foin, de sorte que personne – et en particulier pas François – ne puisse la voir. Ce serait un présent absent aux regards mais quand même présent…

Aussitôt dit, aussitôt fait ! On ne la voyait plus, mais Jacques était quand même satisfait que son présent soit présent et bien présent. Car, dès que le présent cadeau de Mathilde serait pris, son présent à lui apparaîtrait au moment précis de la remise des présents au grand absent!

Dans l’intervalle, l’on était maintenant arrivé au 24 Décembre… Ajoutée à l’effervescence propre à Noël, il régnait encore une certaine tension dans la maison, recouverte par l’abondance des Cantiques de Noël : « Gloria in excelcis Deo… ».

En début d’après-midi, le téléphone sonna. Jean était appelé à l’extérieur. Il quitta la maison et les douze y restèrent seuls. Les filles s’occupaient principalement de distraire François, pour qu’il ne voie pas que la botte était encore là.

À 19 Heures, dans la grande salle de séjour où tous étaient rassemblés devant le sapin, dans l’attente de la Veillée, le téléphone sonna de nouveau et Joseph décrocha. Puis, il fit signe à Marie de le suivre dans la cuisine… Peu après, tous deux ressortirent. Marie informa les dix cadets que, ce soir, du fait de la Veillée où il y aurait beaucoup à déguster pour tous, elle ne ferait pas de repas à l’heure habituelle de repas du soir.

Puis Joseph, auréolé de son autorité d’aîné, s’adressa à tous et dit :

-         Il y a une surprise ! Le père demande que nous allions tous, maintenant, à la Grotte du Belvédère… Je vais vous y emmener.

La Grotte du Belvédère était, comme son nom l’indiquait, une vaste grotte, façon « petit Lourdes », qui se trouvait dans la montagne, à proximité d’un fort beau point de vue.

Très fier, Joseph arriva devant l’entrée de la grande demeure, au volant du mini-car familial de la famille Passe, et les onze autres s’y engouffrèrent, Marie se plaçant devant, à côté de lui, à la place de la passagère.

Quand ils arrivèrent à la Grotte du Belvédère, ils virent qu’une Cérémonie était sur le point de s’y dérouler : C’était, tout simplement, une commémoration-représentation-reconstitution de la Nativité. Cela s’annonçait beaucoup mieux que la traditionnelle et soporifique « Messe de Minuit », qui débutait, du reste, maintenant, à 21 Heures.

Et c’était fort bien rendu. Saisis par une émotion croissante, tous regardèrent avec ferveur l’extraordinaire Histoire par laquelle l’Amour de Dieu avait pris pied sur la Terre.

Pendant ce temps-là, Stéphanie, Pierre et Corinne s’étaient endormis, respectivement, dans les bras de Mathilde, Jean-Baptiste et Noémie, tandis que David luttait vaillamment jusqu’au bout contre le sommeil pour ne pas perdre une miette du merveilleux Spectacle.

La représentation avait ceci d’original en ce qu’elle montrait aussi qui était le vrai père terrestre de Jésus. Ils n’en furent pas autrement surpris, parce que tous savaient, comme tout le monde, que ce n’était pas Joseph

Et bien sûr, un corps maternel terrestre directement fécondé par le Saint Esprit, c’était une histoire encore moins crédible que celle du Père Noël. Jean & élisabeth leur avaient appris qu’il y avait des Lois dans la Création, et que celles-ci ne se laissent pas dévier en fonction de la fantaisie et du dogmatisme des théologiens…

Par contre, ce que tout le monde ne savait pas, c’est qui était, en réalité, le père terrestre de Jésus. Bien sûr, c’était un homme que Marie avait connu avant Joseph et que des raisons contraires à sa volonté avaient momentanément contraint à s’éloigner de Marie, jusqu’à ce que, dans l’attente d’un improbable retour, en proie à une inquiétude croissante, elle se confie au Maître-Charpentier, le généreux Joseph.

L’histoire racontée par le spectacle était, dans le fond, tout à fait logique, car elle permettait de comprendre pourquoi le père de Jésus était demeuré inconnu de la postérité, de sorte que, sur cette ignorance, s’était greffée la fable selon laquelle, à l’encontre des vivantes Lois du Créateur, le Fils de Dieu serait né sans père…

Mais si c’était divin de naître sans père, pourquoi cela ne l’aurait-il pas été davantage de naître encore sans mère ?

Cette histoire plut à Joseph, parce qu’il avait toujours péniblement ressenti cette éviction de Joseph de l’Histoire de la Venue au Monde de Jésus, et, maintenant, il savait que, comme « tout le monde », même si Joseph n’était pas son père biologique (car, assurément, il avait été son père éducateur et nourricier et, qui plus est, un paternel Ami pour Jésus), conformément à l’Ordre de l’Univers, Jésus avait quand même eu un père…

Le Festival Sacré dura pas moins de trois heures trente-trois minutes ! Le temps de rentrer à la « Nouvelle Crèche » (tel était le nom de la propriété familiale), et il était près de Minuit

Le temps que Joseph gare le mini-car, la première Marie ouvrit la porte d’entrée. Celle-ci donnait sur un vestibule, à partir duquel montait l’escalier vers les deux étages supérieurs. À droite de l’escalier, un couloir conduisait, en ligne droite, vers une porte vitrée aux vitraux translucides mais pas transparents, derrière laquelle se trouvait la grande salle de séjour de la « Nouvelle Crèche », avec la cheminée, la crèche, le sapin et au pied de ce vert sapin, les innombrables et volumineux présents.

La première, Alexandra pénétra dans la salle, dans la cheminée de laquelle flamboyait une réjouissante flambée. Les autres suivaient en ordre dispersé, même la petite Corinne, entre temps réveillée, était sur ses pieds et suivait le mouvement…

La première, joyeusement, Alexandra, courant droit devant elle, s’écria :

-         « Maman ! »

Eh oui, aussi surprenant que cela puisse paraître, la Mère était là. Elle se tenait assise mais inclinée vers l’arrière, dans son confortable fauteuil à bascule, devant la cheminée, et donc devant la crèche, juste devant la statuette de Marie, ainsi que, de l’autre côté du Foyer, le Père était là aussi, devant la statuette de Joseph

Un à un, d’abord les petits puis les grands, tous les enfants se jetèrent au cou de leur mère, sous le regard ému de Jean.

Si la Mère était là, c’est que le bébé n’était pas encore né, se dit Alexandra. Pourtant, elle remarqua vite que le ventre de sa mère était loin d’être aussi rond que la dernière fois qu’elle l’avait vue.

- Où est le petit frère ? questionna, le premier, Jacques, qui, lui non plus, n’avait pas les yeux dans sa poche.

- Ou la petite sœur ! voulut rectifier Mathilde, qui n’avait pas encore remarqué le ventre nettement moins rond d’élisabeth et ne voulait pas encore renoncer à son idée d’avoir une sœur de préférence à un frère.

Entre temps, les Douze étaient rentrés dans la grande salle.

C’est alors que Jean intervint :

-         La Nuit de Noël, est-ce un garçon ou une fille qui est né ?

-         Un garçon, un garçon ! s’écrièrent, enthousiastes, les garçons, tandis que Mathilde demeurait muette.

-         Et maintenant ? poursuivit Jean, nous sommes …

-         … La Nuit de Noël ! s’écrièrent douze voix unanimes.

-         Alors ? enchaîna Jacques, ses beaux yeux bleus interrogateurs braqués sur son père.

-         Alors, qu’as-Tu apporté pour l’Enfant à naître ? questionna son père.

-         La botte…, dit Jacques, la botte pour Le mettre.

-         C’est pour Zésus ! répéta encore le petit Pierre.

À ce moment-là, comme un seul, tous les regards, y compris celui de François, se tournèrent sur la droite vers le sapin et sur les nombreux présents répandus à son pied.

La première, Mathilde s’avança alors vers le sapin et, doucement, releva la couverture rose qu’elle avait confectionnée.

Sous la couverture apparut alors, aux yeux médusés de tous, un superbe bébé, dormant paisiblement.

Tandis que, au son des douze coups de Minuit, douze bustes, ravis, se penchaient sur une humble botte de paille recouverte de foin servant d’écrin au plus beau Présent de Noël survenu à la « Nouvelle Crèche », lui-même entouré de tous les autres présents des douze {enfants tous} présents, plus personne, alors, ne questionnait pour demander si c’était un garçon ou une fille…

 

 

À ce moment-là, contemplant élisabeth, qui était venue mettre au monde leur enfant à la maison, Jean, qui, un peu plus tôt, le premier, en provenance du ventre d’élisabeth, l’avait reçu dans ses bras, dit :

-         Nous l’avons appelé…

Alors il se tut et sourit à élisabeth, l’invitant du regard à poursuivre…

-         « Jésus ! », acheva élisabeth, en un bienheureux souffle.

 

 

- Le petit Pierre avait raison ! s’exclama Alexandra. La botte, c’était bien pour Jésus !

-         « La Vérité sort de la bouche des enfants ! », conclut Marie.

-         Et, par rapport aux douze Apôtres, Jésus était bien le treizième, observa encore Jean-Baptiste

 

 

Jacques Lamy