LA VENUE D'AURORE


Conte Initiatique

de

Jacques LAMY

 

C'était l'Aube.

Jean et Gwenaëlle de Kerven dormaient l'un contre l'autre. Pour la troisième fois, dans la (basse)-cour, "Chanteclair" entonna un retentissant "cocorico".

Le premier, Jean ouvrit les yeux. Et ce qu'il vit le remplit de béatitude. Un rayon de lumière blanche filtrait par la jointure des volets. Il suivit du regard le trajet des lignes de lumière.

Le rayon effleurait maintenant la tête blonde de Gwenaëlle; dans quelques instants, il atteindrait son visage.

- "Lorsqu'elle aura le Soleil dans les yeux, je l'embrasse", se dit Jean.

Une Joie débordante le remplissait. Il en avait trop pour lui tout seul; il fallait que d'autres en profitent.

Le rayon éclairait à présent les traits fins et délicats; Jean se pencha sur elle et appuya ses lèvres contre sa bouche.

Le baiser eut pour effet de la faire revenir dans notre monde; ses paupières se soulevèrent et un rayonnant sourire illumina tout son visage. Dans les yeux de Jean, il y avait une expression inhabituelle.

- "C'est pour aujourd'hui", se dit-elle.

Elle baignait dans la Félicité la plus profonde. Elle referma les yeux et lui prit les mains.

Une Prière muette s'éleva entre eux. Alléluia!

 

 

Elle gardait les yeux fermés, attendant qu'il l'enlace. Mais lui continuait de la regarder en souriant. Puis, il la prit par la main et doucement l'attira hors de leur lit.

Elle ouvrit des yeux surpris; il souriait toujours. Il l'amena jusqu'à la fenêtre ouverte et poussa les volets. La lumière les enveloppa. Il la prit, lui fit passer la bordure, la déposa dans l'herbe verte, et enjamba le rebord à son tour.

A présent, ils se trouvaient dehors, pieds nus dans la rosée. Mains dans la main, ils coururent jusqu'à la source.

 

Déjà haut dans l'azur, le Soleil riait de tous ses éclats: Tel le petit archer, il avait été l'artisan et le témoin satisfait des embrasements de la Terre et du Ciel sur le lit de l'horizon.

Ils n'avaient d'autres murs à leur chambre que les blés qui mûrissaient autour d'eux. Et d'autre toit que le firmament.

Une vie entéallique* intense grouillait partout tandis que le Disque d'Or continuait de monter au-dessus de l'île en répandant sa symphonie de lumière.

Dans les rayons matinaux, leur chaumière était toute blanche. Et les Korrigans couraient sur la lande.

*Note pour "entéallique" :
Cet adjectif, encore peu connu dans le langage courant, se réfère notamment, de façon générale, aux êtres ou - plus précisément - entités de la Nature, ainsi qu'à leur activité.
Selon la Tradition, en ce qui concerne les petits êtres de la Nature, il s'agit, notamment, des salamandres (entéaux du Feu), des sylphes ou sylphides (entéaux de l'Air), des naïades et ondines (entéaux de l'Eau), des gnomes, korrigans, kobolds, etc. (entéaux de la Terre), et des elfes (entéaux des arbres et des fleurs).
Il y a encore des êtres humains qui affirment les voir ou, au moins, les percevoir...

* * *

Gwenaëlle frissonnait de tout son être. Etait-ce la fraîcheur matinale? Les yeux de Jean disaient: "Tu veux?" et ceux de Gwenaëlle répondaient: "Oui!"

- "Oh! Yann, mon Yanni. Pour toi, c'est pour toi."

- "Gwenaëlle, mon Ange blanc."

Et les Elfes s'égayaient de leurs embrassements.

Et c'était l'Amour. Les âmes et les corps échangeaient leurs vibrations, dans la constance du vouloir réciproque.

Elle était comme une voile qui bat dans le vent.

Et lui était comme un Soleil qui va sombrer dans la mer.

Alors, il déposa la semence.

Elle était comme enfouie dans la terre.

 

* * *

 

Au même moment, à l'étage au-dessus, une intense activité régnait. Nombreuses étaient les âmes qui voulaient revenir sur Terre. Beaucoup de fils les attiraient encore vers ce plan.

- "Là, là," dit une voix.

Il n'y avait aucun doute; étant donné la proximité de leurs deux corps fin-matériels, ces êtres humains s'unissaient sur le plan terrestre. Une procréation allait-elle avoir lieu?

Une aura lumineuse émanait du couple et maintenait à distance, dans l'astral, les basses âmes encore liées à la terre qui, en tentant de s'approcher, se brûlaient à la Flamme de l'Amour.

- "Ecartez-vous, écartez-vous!"

Une farandole de nains se tenaient la main pour faire la place et contenir le flot des âmes. Elles étaient contraintes de reculer. La Pureté de l'Amour devait être protégée de la basse convoitise.

L'Amour de ce couple vibrait dans la Pureté; l'amour de l'âme était la cause du don; le désir des corps ne jouait qu'un rôle secondaire. La force sexuelle portait l'amour à l'incandescence et le rendait tangible dans la matière.

Et les âmes esclaves du désir étaient contraintes de se tenir à l'écart et d'aller chercher ailleurs, là où des hommes et des femmes étaient animés uniquement par le désir des corps.

Tout à coup une clarté resplendit d'En-Haut. Une âme arrivait en provenance d'un Plan plus élevé; elle était escortée par son esprit-guide. Elle s'approchait, comme conduite sur des rails.

Un tissage de fils de couleurs variées tapissait son chemin et avec ces fils, un nom était brodé:

- "K-E-R-V-E-N! Elle vient de la Maison Blanche!"

Un chuchotement parcourut les rangs des âmes présentes; ils n'en croyaient ni leurs yeux ni leurs oreilles, et cela d'autant plus qu'un bon nombre étaient à moitié aveugles et sourdes, dans les paliers inférieurs.

Sur les degrés plus élevés, tous écarquillaient les yeux, afin de tenter de discerner en haut de l'escalier les premières marches du perron qui conduisait au portail de la Maison Blanche, et par où était sortie l'âme élue pour cette incarnation.

L'esprit-guide de cette âme s'appelait Gabrielle. Elle était venue et avait frappé à la porte:

- "C'est le moment", avait-elle dit simplement.

La future fille de Jean et Gwenaëlle s'était levée sans un mot; elle avait souri aux autres habitants de la Maison Blanche. Ils savaient tous qu'elle devait encore venir sur la Terre.

Autrefois elle avait été la femme de Jean. Elle l'avait quitté un jour pour suivre un Prophète. Elle s'appelait alors Lucia. L'enseignement du Prophète l'avait initiée à de sublimes Réalités. Mais, au lieu de revenir vers Johan, afin de l'initier à son tour en lui faisant part du sublime Enseignement, elle n'avait pu se détacher du Prophète et avait continué à le suivre. Elle avait donc toujours une dette à l'égard de Jean, qu'elle devait maintenant enseigner en cette vie en lui montrant la Voie.

Mais ce n'était pas tout. Johan et Lucia avaient une fille: Angela. Angela était maintenant Gwenaëlle. Lorsque Lucia était partie, elle avait emmené Angela, la fille que Johan chérissait tendrement. De plus, Angela, qui était en émerveillement devant son père, avait grand besoin de sa présence auprès d'elle durant son enfance comme pilier de son évolution. Ne pouvant la garder tout seul, Johan, qui travaillait dans la montagne toute la journée - il était berger - avec ses troupeaux, l'avait laissée avec sa mère. Durant de longues années, elle avait ainsi été sevrée de lui et lui de sa fille ardemment chérie.

Et voilà qu'en cette vie, il l'avait enfin retrouvée. Cette fois, elle était son épouse et de cette façon il pouvait lui témoigner son amour encore plus. Dans la matière, il pouvait la choyer encore davantage. Et elle avait gardé pour lui la même admiration, la même nostalgie de le servir et de lui permettre d'accomplir de grandes choses. Cependant, sa fibre paternelle attendait toujours d'être caressée et Lucia, qui allait maintenant être élevée par la fille qu'elle avait traînée sur les routes et l'époux qu'elle avait délaissé, lui devait aussi cela: assouvir l'aspiration paternelle de Jean et faire chanter les cordes de sa sensibilité de père.

C'est pour cela qu'elle revenait. Ses compagnons savaient aussi que lorsque ses futurs parents quitteraient la Terre, ils les rejoindraient dans la Maison Blanche, tandis que Lucia y demeurerait encore quelques décades. Mais bientôt, Lucia, elle, s'endormirait et elle ne saurait plus rien.

* * *

Féci et Féça étaient très occupés.

Pour Féci, l'âme lumineuse de Lucia, qui allait d'ailleurs bientôt changer de prénom en vue d'un progrès - Vasitha l'avait ainsi ordonné -, était comme une navette spatiale qui, à force de passer et de repasser, de tisser et de retisser, avait fini par former une trame très serrée. Les fils de cette trame remontaient à loin et plongeaient dans le passé par une de leurs extrémités. Ils formaient en fait une sinusoïde dont la courbe était présentement descendante.

Le vaisseau cosmique "âme" descendait doucement, accompagné de son guide. Arrivée aux confins de l'Astral, Lucia fit ses adieux à Gabrielle. Pour elle, c'était déjà comme dans un rêve. Elle et Gabrielle s'étaient jadis connues sur la Terre. Gabrielle avait été la compagne du Prophète. Elle s'apprêtait à le rejoindre, après cette ultime Mission dans le Monde des Trépassés, Là-Haut sur l'Ile Bleue...

La voix de Vasitha résonnait intérieurement en elle, qui lui disait:

"Désormais, son nom sera..." "AURORE, je serai toujours auprès de vous..."

Aurore s'endormit dans les bras de Gabrielle. Gabrielle la regarda avec émotion. Puis, elle se tourna vers Féci et Féça:

- "Je remets ma protégée entre vos mains."

Féci et Féça répondirent par un sourire: ils connaissaient leur affaire. Ils étaient les serviteurs du Très-Haut et œuvraient avec une Fidélité inaltérable à l'Accomplissement des Lois issues de Sa Volonté. Leur Service était toujours d'une perfection absolue.

Gabrielle fit un signe à Féci et Féça, puis reprit le chemin des Hauteurs. Pour eux, le travail allait commencer.

Il fallait tout d'abord modeler à cette âme un corps astral en conséquence de son karma. Pour cela, le nom de famille qui déterminerait son chemin terrestre, sa destinée, était comme un code. Féci était expert dans ce genre de décodage.

Puis, habité par l'âme qui le porterait conjointement au corps physique, il faudrait que ledit corps astral subisse un sérieux traitement au travers de son passage dans les sept Sphères planétaires. Le programme de ces différents séjours était fourni par le thème astral de l'incarnation que Féci avait en sa possession et qui avait été remis à Aurore au départ de la Maison Blanche. C'était le résultat parfaitement objectif de l'Activité des Lois.

Lorsque Aurore dans son nouveau corps gros-matériel passerait du ventre de sa mère dans les bras de son père, cet instant témoignerait de tout le modelage subi par son corps astral et certainement les astrologues confectionneraient une image mathématique des influences qui s’exerceraient sur elle et que lui restitueraient les radiations des astres.

C'est précisément les affinités astrales qu'Aurore allait avoir avec Jean et Gwenaëlle - et pour elle, ces affinités astrales étaient déterminées par de puissantes affinités spirituelles également, puisque ces esprits se connaissaient de longue date - qui, d'ores et déjà, l'attiraient vers eux.

Le code génétique du corps gros-matériel d'Aurore devait être conforme à son code astral déterminé par son nom et ses prénoms. La première chose que Féci et Féça avaient à faire, c'était de constituer l'œuf adéquat. Pour ce faire, en se tenant par la main, Féci et Féça plongèrent dans le ventre de Gwenaëlle.

Pour Féça, le travail était facile: elle n'avait à choisir que parmi quelques centaines de petits globules. Elle choisit un bon gros ovule et déclencha la ponte. Quant à Féci, il avait vraiment l'embarras du choix, apparemment. Mais il devait sélectionner dans la vaste gamme de potentialités offertes par la semence de Jean celle qui convenait exactement. Il y avait là des centaines de millions d'animalcules.

Féci savait tout de suite distinguer les masculins avec leur tête ronde et les féminins avec leur tête oblongue. Mais il savait aussi voir en images les virtualités qui y étaient contenues. De nombreux spécimens de ces germes minuscules tournaient déjà autour du gros ovule.

Féci en choisit un parfaitement conforme à l'image qu'il avait et tout à fait vigoureux. C'était un spécimen féminin qui donnerait à Aurore les cheveux blonds, dorés - comme les blés qui les entouraient -, et les yeux bleus - comme le ciel qui les surplombait - de son père. Et, suite au choix de Féça, Aurore aurait le corps magnifique de sa mère.

Féci aida son élu à se frayer un passage. Au moment adéquat, la petite bête avait pris la citadelle d'assaut. Féci et Féça se regardèrent et sourirent de satisfaction. Ils faisaient cela depuis des millions d'années et c'était toujours le même émerveillement.

C'est alors que Féci posa sur l’œuf le premier fil fin-matériel. Ce serait alors à Féça et à son équipe de tisserandes - ses sœurs Parques - de tisser les suivants...

L'oeuf ne pourrait se développer et les premières divisions cellulaires s'effectuer que si dans l'Astral le modèle de ce corps, semblable au patron de la couturière, était ébauché. Déjà, l'âme d'Aurore était reliée par les fils fins-matériels à son futur corps gros-matériel. Mais, il fallait aussi que, lorsqu'il serait prêt pour cela, dans un peu plus de quatre mois terrestres, l'âme d'Aurore puisse pénétrer et mouvoir ce petit corps gros-matériel, fait pour elle. Le corps astral que Féci et son équipe confectionnaient pour elle servirait de pont pour cela.

Aurore s'éveilla; l'heure n'était pas encore venue pour elle de s'endormir pour de bon. Tout d'abord, elle devait revêtir autour de son âme fin-matérielle une enveloppe plus délicate que son futur corps astral mais plus dense - c'était déjà de la matière grossière mais de la matière grossière "fine" - que son corps fin matériel. C'était la première enveloppe, indispensable transition avec l'Astral, qu'elle endossait comme vêtement de son âme et qui la rapprochait déjà du plan terrestre. Elle s'habituait et pouvait grâce au "lest" qu'elle représentait, demeurer dans la proximité immédiate de Gwenaëlle et la suivre partout. De plus, ce délicat re-vêtement était très joli et lui allait "comme un gant".

C'est alors que se produisit un fait curieux; une âme beaucoup plus lourde qu'Aurore, qui avait été évincée et dont le tissage antérieur correspondait aussi, du point de vue du genre, au nom "Kerven", essaya de trancher les premiers fils de matière fine tissés par Féci et Féça entre le minuscule embryon et l'âme d'Aurore, afin de prendre sa place. Cette âme qui avait brutalement été renvoyée dans l’Au-delà, lors de sa précédente tentative d'incarnation, par une intervention abortive, était pressée de revenir sur Terre. Malheureusement pour elle - et heureusement pour Aurore! - les fils de lumière résistèrent. Une colonne de force les parcourait dans les deux sens. Par leur prière ardente et pure, Gwenaëlle et Jean avaient trouvé une indestructible voie de liaison avec le Haut. Les fils, clairs comme les rayons du soleil, étaient devenus insécables.

 

 

Aurore, sous la conduite de Féci et Féça, devait maintenant traverser les Sphères. Ce fut d'abord la Sphère du vieux Saturne qu'il fallut parcourir. Féci présenta sa protégée à Saturne avec fierté. Le Gardien de la planète Saturne, qui vibrait dans les irradiations de Saturne, là-haut dans le Château de l'Olympe, la regarda avec satisfaction. Pendant ce temps-là, Féça recueillait des pans de substance astrale et en revêtait l'âme d'Aurore endormie.

L'architecture osseuse du corps astral d'Aurore était faite. Le squelette, l'ossature du corps physique d'Aurore serait légère et gracile, tout comme celle de Gabrielle. Le séjour d'Aurore dans la Sphère de Saturne fut rapide; Aurore ne serait pas une "Saturnienne".

Elle entra ensuite dans la Sphère du bon Jupiter barbu qui la regarda arriver avec un bon sourire. C'est lui qui donnerait au corps d'Aurore son modelé, son galbe. Jupiter était satisfait; il allait pouvoir faire du beau travail.

Jupiter avait donné au corps d'Aurore une belle apparence. En bonne Jupitérienne, expansive et enjouée, Aurore aurait des formes pleines. Elle demeura un bon moment chez Jupiter. Puis, elle fut conduite dans la Sphère suivante, se rapprochant toujours de la Terre.

C'était celle de Mars. C'est lui qui devait lui conférer la capacité d'agir consciemment et volontairement dans la matière, et notamment par la parole, ce don éminent. C'est lui aussi qui régissait les questions de circulation sanguine artérielle.

En traversant la Sphère Solaire, Aurore fit provision de ces précieuses forces d'incarnation qui l'aideraient puissamment à prendre pied et à s'enraciner dans le monde gros-matériel. Ainsi armée, elle aurait la possibilité d'une prise de possession et d'une maîtrise parfaite de son corps gros-matériel. Pour commencer, elle serait bien ancrée dans le ventre de Gwenaëlle et ensuite, elle pourrait vivre "les pieds sur la Terre". Aurore serait une "Solaire" rayonnante de vitalité et cela se traduirait à sa naissance par un ascendant "Lion" dans sa carte du Ciel, affinité avec son père, natif du signe. Une femme de cœur.

C'est dans la Sphère de Vénus qu'Aurore séjourna le plus longtemps, car elle serait une native du Taureau comme sa mère et elle naîtrait lorsque le Soleil aurait rattrapé Vénus au Zénith en plein midi. Une Jupitérienne, oui, une Solaire, certes, mais surtout une Vénusienne. Voilà ce que serait Aurore de Kerven dans son corps de chair, une Vénusienne pleine de ce charme si féminin fleurant bon l'amour, la grâce et la joie de vivre sur la Terre et de s'offrir comme une belle pomme rouge et or... Oui, elle serait belle et attirante, notre Aurore.

Le Mercure de l'Astral, vibrant dans l'irradiation de Celui de l'Olympe, l'accueillit ensuite dans sa sphère planétaire et Aurore, qui dormait toujours, voyait tout cela comme dans un rêve... C'est lui qui devait régir sa vie d'échanges et de relation et, dans son corps gros-matériel, la vitalité de ses poumons. Si la circulation artérielle était le domaine de Mars et la circulation veineuse celui de Vénus, c'est Mercure lui qui fabriquait la lymphe, ce liquide, cette sève du corps humain, vecteur des globules et des hématies. Incontestablement, c'est lui qui donnerait aussi à Aurore sa mobilité de pensée.

La dernière Sphère planétaire avant la Terre était la Sphère Lunaire. Diane régnait en souveraine dans cette Sphère. Ses champs d'action étaient étendus et variés. Tout d'abord, c'est grâce à l'influence lunaire qu'Aurore aurait une peau douce et diaphane, presque transparente, laissant irradier sa lumière intérieure au travers. Et puis c'est à la Lune aussi qu'Aurore devrait sa fertile imagination créatrice, car c'est elle aussi qui influencerait la formation de son cerveau. Le troisième domaine régi par la Lune n'était pas le moindre: car le principe de la Lune est celui de l'éternelle répétition, de la reproduction. Autrement dit, c'est à elle aussi qu'incombait la formation des organes reproducteurs, des organes sexuels dans le corps d'Aurore, afin qu'elle aussi puisse, un jour, être mère. Les organes génitaux n'existant que dans le corps gros-matériel, c'est pour cela que - tout comme la Lune de matière grossière - la Sphère lunaire était la plus proche de la Terre et la dernière à être traversée.

Il avait fallu toutes ces influences pour former, forger, modeler, tisser un corps astral, d'après lequel le corps gros-matériel se modelait, lui aussi, presque simultanément. Et dans ce corps gros-matériel embryonnaire, l'influence de chaque planète, de par l'activité de son gardien portant le même Nom que son Archétype entéallique, se manifestait, conjuguée à celles de toutes les autres et de tous les autres, sept au total.

A Saturne, le squelette, la moelle osseuse et la rate. A Jupiter, le foie, le cartilage et les muscles. A Mars, la vésicule biliaire et le larynx. Au Soleil, le cœur et la circulation en général. A Vénus, les reins et les veines. A Mercure, les poumons, la lymphe et les glandes. A la Lune, les organes sexuels, le cerveau et la peau.

Merveilleux produit de toutes ces influences conjuguées, telle apparaîtrait l'Aurore terrestre. Que de préparatifs pour une incarnation! C'était maintenant pour bientôt. Féci et Féça, dans leur propre corps astral, souriaient de bonheur: c'était tellement plus agréable de confectionner un beau corps astral pour qui avait une belle âme! A présent, ils n'avaient plus qu'à guetter l'heure à l'Horloge Cosmique.

* * *

C'était un matin.

Gwenaëlle, qui s'était levée la première, pétrissait une pâte à tarte. Jean, qui arrivait derrière elle, lui mit ses bras autour de la taille et l'enserra avec tendresse. La rondeur lunaire sous ses mains l'enchantait…

Ils sortirent. La Lune pâlissait dans le petit matin. Les derniers voiles de la nuit achevaient de se dissiper. L'air était étonnamment doux. Ils se sentaient bien tous les deux.

Elle l'entraîna jusqu'à leur petit banc de bois, à côté de la source. Il se rapprocha d'elle; elle lui montra son ventre qui gonflait presque à vue d'œil depuis quelque temps, semblable à une Lune montante.

Jean posa sa main dessus. Il le caressait avec bonheur; dedans, la tête en bas - orienté en fonction de sa provenance -, il y avait son bébé ou plutôt non: il y avait le corps de leur bébé.

Tout à coup, il y eut un vif tressaillement et la peau se souleva; la main de Jean sentit nettement un mouvement et Gwenaëlle lui sourit:

- "Ça y est!", dit-elle simplement.

Jean se pencha et déposa un baiser sur la rondeur lunaire. Et le bébé bougeait, bougeait, bougeait...

* * *

Au même moment, Féci et Féça étaient dans tous leurs états.

L'équipe de Féça avait donné le dernier coup d'aiguille; le tissage entre le corps fin-matériel d'Aurore et le petit corps gros-matériel - déjà formé mais dont la croissance n'était pas achevée - qui lui était destiné, était terminé; le pont était solide.

De son côté, le corps astral, parfaitement constitué, flottait à quelque pas d'Aurore. On le lui avait fait "essayer" à plusieurs reprises, mais elle ne pourrait vraiment l'endosser qu'en même temps que son corps gros-matériel. Le corps astral était relié, quant à lui, au petit corps gros-matériel - le fœtus - par un cordon d'argent étincelant. D'ombilic à ombilic.

C'est alors que Féci se mit à tirer sur les fils de matière fine, contraignant l'âme d'Aurore à descendre, à s'approcher simultanément du corps astral et du corps gros-matériel jusqu'alors vides. L'attraction de nature entéallique exercée par Gwenaëlle elle-même apportait à Féci et son équipe un concours déterminant.

Une fois le corps astral revêtu, l'attraction magnétique résultant de l'irradiation exercée par le noyau spirituel d'Aurore devint sensible jusque dans la matière grossière. Ceci eut pour effet de soumettre l'ensemble - âme + corps astral - à l'attraction entéallique irradiant au travers de Gwenaëlle en direction d'Aurore.

Fortement aspirée, l'âme d'Aurore fut contrainte de s'incarner, de prendre possession du petit corps, et son esprit s'embruma complètement dans la matière. Sa plongée dans le petit corps provoqua soudainement une brusque secousse en celui-ci.

- "Regarde!", dit soudain Gwenaëlle, en désignant le Soleil qui se levait, étincelant de mille feux… Un korrigan avait attiré son attention en lui tirant le bras de son corps astral. Elle admirait, extasiée.

- "Nous l'appellerons: Aurore", déclara Jean, inspiré.

Jacques Lamy