« Mort au blasphémateur ! »

 

Jésus Se tenait, pieds et mains percés, sanglant, sur la croix, sous le soleil torride. Il ne disait rien, recueilli, cherchant la Liaison avec Son Père.

« Mort au blasphémateur ! » criaient, devant la croix, juste à côté de Cléophas, quelques malveillants braillards, tendant haineusement le poing vers Lui…

Cléophas, qui passait par ce qui allait devenir la « Via dolorosa », avait été happé par le mouvement de foule montant vers le Golgotha. Il regardait, comme les autres, fasciné, le corps ensanglanté du Sauveur, et, aspiré dans le mouvement de la foule curieuse, subjuguée ou haineuse autour de lui, par mimétisme, se mit, lui aussi, comme les autres, à hurler :

-         Mort au blasphémateur ! Mort au blasphémateur !

Après qu’il eût hurlé un moment avec les autres, las de s’époumoner, il interrogea son voisin :

-         Mais, au fait, qu’a-t-il donc fait ?

-         S’il en est arrivé là, cela ne peut pas être quelqu’un de bien ! répondit son voisin, un rougeaud primaire, qui vociférait à gorge déployée, et il reprit de plus belle :

-         Mort au traître ! Mort au traître !

-         Mais qui donc a-t-il trahi ? demanda Cléophas, soudain en proie au doute.

-         César, bien sûr ! répondit un autre de ses voisins, il voulait se faire roi à sa place.

-         Alors, s’il a trahi César, c’était donc un Romain, dit alors Cléophas.

-         Point du tout, c’est un Juif de Nazareth, reprit son voisin. Il voulait être le roi des Juifs !

-         Mort au blasphémateur ! cria un troisième. C’est un blasphémateur : il a dit qu’Il était le Fils de Dieu !

-         Si, lui, c’est le Fils de Dieu, alors c’est moi César ! dit encore un autre, très content de lui.

-         Descends de la croix, si tu es le Fils de Dieu ! cria alors un grand rustre, se croyant très malin

Puis arriva éliphas, qui venait d’entendre la conversation. Il demanda :

-         Comment sait-on que c’est un blasphémateur ?

-         Personne ne peut être le Fils de Dieu ! dit celui qui venait de crier « Mort au blasphémateur ! ».

-         Pas même si c’était Celui que le Prophète Isaïe a annoncé ? reprit tranquillement éliphas.

-         Ce n’est pas possible ! cria son protagoniste.

-         Et pourquoi non ? questionna éliphas. Comment peut-on le savoir ? Il faut bien qu’Il arrive, un jour, Celui Qui a été annoncé ! Non ? Pourquoi le moment ne serait-il pas venu ? Les signes ne sont-ils pas là ?

-         Si c’était le cas, cela se saurait ! affirma, de nouveau, son interlocuteur…

Cléophas, un instant hésitant, alors, pour se rassurer, surenchérit :

-         Eh bien, oui ! cela se saurait !

-         Eh bien, moi, justement, je le sais ! affirma tranquillement éliphas, mais personne ne lui demanda pourquoi et comment.

-         Nous attendons un roi avec une couronne en or, dit encore un autre, pas avec une couronne d’épines !

-         Cet homme est dangereux, dit encore le rougeaud ; il faut qu’il meure !

-         En quoi est-il dangereux ? demanda Cléophas.

-         Il a dit qu’il détruirait le Temple ! affirma l’homme, haineux et rouge de colère.

-         Il a dit aussi qu’Il le rebâtirait en trois jours ! répliqua éliphas, imperturbable.

-         Détruire le Temple ! reprit l’homme en colère, semblant ne pas avoir entendu.

-         Il a été jugé par le Sanhédrin ; le grand-prêtre Caïphe a dit qu’il était coupable de blasphème! cria un petit freluquet très hargneux…, cela ne peut donc être que vrai !

éliphas quitta la place, sans plus mot dire.

Et l’homme rouge, de nouveau, rougit de colère :

-         à mort le blasphémateur !

Et Cléophas dit :

-         Je le savais bien !

et, conforté dans son opinion, reprit après lui de plus belle :

-         à mort le blasphémateur ! Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants !

Alors Jésus poussa un grand cri et S’écria :

-         Père, Je remets Mon Esprit entre Tes Mains !

L’obscurité s’abattit sur le Golgotha, le lieu du crâne où, autour de la croix, régnait la domination de l’intellect, il faisait nuit comme en pleine nuit ! Les êtres humains y étaient, de ce fait, complètement aveugles et n’y voyaient plus rien… Un éclair éclata ! Peureusement, Cléophas se terra.

 

*   *   *   *   *   *   *

 

Les années avaient passé… Curieusement, Cléophas était, maintenant, … moine, et il s’appelait… François.

Dans la petite ville italienne où il était né, son père, un riche bourgeois et négociant, l’avait durement élevé, l’enfermant au cachot pour lui apprendre la soumission à l’autorité paternelle, mais François-Cléophas avait résisté, il voulait vivre la « pauvreté évangélique » et, au seuil de l’âge adulte, pour ne rien devoir à son père, il avait quitté la maison paternelle sans rien, pas même un simple pagne…, libre comme l’air et nu comme au jour de sa naissance.

François avait fondé un monastère, jouissant d’une bonne assise, un lieu où il vivait, avec ses frères, dans le labeur, la pauvreté et la piété, chantant les louanges du Seigneur et de Sa Création, s’émerveillant devant toutes les créatures, même les plus petites, et glorifiant Son Divin Fils…

Une sœur, Claire, suivant son exemple, avait fait de même pour les dévotes femmes qui voulaient la suivre, et elles vivaient, semblablement aux hommes mais avec une règle adaptée aux femmes, dans un couvent voisin.

Dans sa conscience terrestre, François ignorait qu’il avait jadis blasphémé le Christ en Le traitant Lui-même de blasphémateur au pied de la croix, mais son esprit, lui, le savait…, et François était torturé par le remords. Il implorait pour l’expiation…

Un jour, alors qu’il se trouvait seul dans le jardin du monastère, il s’endormit sur un banc et rêva que son esprit suppliait qu’on le punisse pour le crime qu’il avait commis. Il lui fut alors répondu d’En Haut par une Apparition lumineuse que sa prière était exaucée et que, du reste, elle aurait quand même été exaucée, même s’il ne l’avait pas faite, car cela faisait partie d’un processus auto-actif conditionné par les Lois Divines.

Toutefois, comme il avait imploré pour l’expiation, le châtiment, au lieu de l’écraser vers le bas, lui apporterait de grandes Bénédictions spirituelles et s’avèrerait, pour lui, un facteur d’Illumination.

À son réveil, François se leva de son banc et tomba tout de suite à genoux, aveuglé par une blanche Lumière.

-         Je suis celui que Tu as blasphémé en criant « à mort le blasphémateur ! » Cette malédiction retombe sur Toi, mais, au lieu de T’apporter la mort, si Tu reconnais Ta faute et Me reconnais comme le Chemin, la Vérité et la Vie, alors elle T’apportera la Vie !

Tu devras, toutefois, saigner jusqu’à l’Avènement du Fils de l’Homme et jusqu’à ce que Tu Le reconnaisses, Lui aussi, car Il est Mon Frère, et Je Lui transfère la dette à Mon égard de ceux qui M’ont contraint à verser mon Sang sur la croix.

Ne juge plus jamais selon les apparences, François, car si Tu devais recommencer cela, Tu ne pourrais reconnaître Celui Que la Munificence de Mon Père enverra, encore une fois, aux êtres humains de cette Terre.

Car, ainsi que Je vous l’ai déjà dit sur la Terre : Le péché contre le Père et le Fils sera pardonné, mais pas le péché contre l’Esprit !

La Lumière diminua puis s’évanouit, peu à peu, François se redressa, puis faillit s’évanouir de nouveau en contemplant le sang qui coulait sur le sol. Il regarda d’où provenait ce sang et il vit qu’il avait deux trous rouges aux poignets ainsi que deux autres à ses pieds ; même son côté droit saignait, ainsi que son front !

Son corps lui paraissait être une seule plaie et il ne pouvait imaginer qu’il allait ainsi continuer à saigner sans mourir… Pourtant, cela dura des dizaines d’années ainsi, car son sang semblait se renouveler au fur et à mesure qu’il s’écoulait. Il était stigmatisé jusqu’à la fin de ses jours et le serait encore dans chacune de ses vies jusqu’à l’Avènement du Fils de l’Homme !

Il partit alors enseigner sur les routes ; il parlait de Jésus Qui était venu et de Celui Qui est, Qui était et Qui Vient, Son Divin Frère, Qui allait venir pour apporter à tous la Justice compensante, réclamant la dette pour Golgotha

Il montrait à ses auditeurs ses mains et ses pieds sanglants et il disait :

-     Regardez-moi ! Je suis un blasphémateur ! J’ai réclamé Sa mort et Il m’a donné Sa Vie ! Je suis un pécheur ! J’ai jugé sur l’apparence, j’ai jugé légèrement et je me suis trompé lourdement. J’ai crié : « Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » et il est retombé sur… moi-même ! Car je suis moi-même mon propre fils, je le sais, moi qui vous parle, j’ai blasphémé le Fils de Dieu, face à Face, et il m’est permis d’expier, afin de me racheter, et ma gratitude est immense !

Ne commettez pas la même faute que moi ! Examinez avant de juger ! Ressentez avec l’intuition spirituelle avant de juger ! N’écoutez pas {ce que disent} les autres, mais appréciez uniquement votre propre ressenti ! à partir de tout ce que vous avez vu, lu ou entendu, vous êtes responsable de chaque idée que vous laissez pénétrer en vous et que vous faites vôtre ! Si vous jugez faussement et causez, de ce fait, du tort, la faute que vous commettez est trop lourde et entraîne, par là même, une expiation trop grande, que vous auriez facilement pu éviter ! Sachez que je suis marqué jusqu’à la fin de mes jours, jusqu’à l’Avènement du Consolateur annoncé par Jésus, car Lui Seul pourra me déli{vr}er de ma faute envers le Fils de Dieu et m’empêcher de saigner… ! J’ai jugé selon l’apparence, je me suis basé sur les autorités en place de l’époque et du lieu, je me suis laissé gagner par les mouvements de la foule autour de moi et j’ai sottement braillé avec les autres contre Quelqu’un Qui non seulement ne m’avait rien fait, mais Qui était le plus innocent de tous les « coupables » que la Terre ait jamais portés ! Honte à moi ! Misère de misère ! Pourquoi ai-je insulté mon Sauveur, mon Rédempteur !?!

Et, invariablement, François partait dans de longues crises de sanglots, que rien ne semblait pouvoir apaiser, de sorte qu’il versait alors autant de larmes que de sang !

Un jour, son chemin croisa celui d’un autre stigmatisé, qui, lui, était convaincu d’être un privilégié de Dieu, pour avoir la grâce, par ses souffrances et son sang versé, de participer, avec Jésus, à la Rédemption de l’humanité… François vit à quel point cet homme, qu’il avait jadis connu à Jérusalem, s’auto-illusionnait et entraînait des adeptes avec lui dans son aberration, mais il ne savait pas quoi faire pour le convaincre de son erreur et dissiper l’effet de ses fausses allégations sur des âmes trop faibles. Le « Comblé de Grâce » commençait à s’éloigner de lui, suivi de ceux qui voulaient aussi profiter de la « Grâce » en question.

C’est alors que, ce même jour, éliphas, réincarné en Antonio, l’Abbé et Frère Supérieur d’un autre monastère, vint à rencontrer, lui aussi, peu après, au cours du prêche d’auto-contrition qui s’ensuivit - plus douloureux que jamais - de l’ex-blasphémateur, de nouveau, Cléophas-François, qu’il n’avait pas revu depuis des siècles. François, après la confrontation avec le « Béni de Dieu », en proie à une culpabilité plus grande que jamais, avait, au moment de la rencontre, roulé sur le sol, visage contre terre, tandis que ses auditeurs le contemplaient, médusés.

Prenant la parole, le padre Antonio, s’étant doucement approché, dit alors à la foule, encore rassemblée, autour d’eux :

-         Beaucoup croient que Dieu honore les stigmatisés en les affligeant des marques des clous de Jésus, de la lance dans Son côté, et de la couronne d’épines sur Sa tête… Quelle piètre conception de la Justice de Dieu ! C’est exactement l’inverse ! Tous ces êtres marqués ont jadis, comme François et comme l’homme que vous avez vu tout à l’heure et que certains d’entre vous ont commencé à suivre, gravement blasphémé le Fils de Dieu sur la croix…

Beaucoup sont, entre temps, revenus, comme lui, de leur erreur et souhaitent la réparer. Il leur faudra, pour cela, comme à lui, encore des siècles, parce qu’ils n’ont pas voulu entendre les mises en garde, croyaient savoir mieux, ont voulu « faire de l’esprit », alors qu’ils n’en avaient pas un atome, et s’imaginaient en cela très avisés, et, de surcroît, étaient assez dépourvus de cœur et même mauvais pour se réjouir des souffrances infligées à un Être pour la culpabilité Duquel ils n’avaient pourtant aucune preuve.

C’étaient des présomptueux, dont la tête était remplie de fausses conceptions, des fausses conceptions qui leur furent funestes et, qui, s’ils ne s’en libèrent pas complètement à temps, leur deviendront même fatales !

Car une fausse conception entraîne un faux comportement, lequel, violant les Lois Divines, provoque inévitablement de mauvaises retombées. Mais même cela ne suffit pas à beaucoup pour se délivrer de leurs fausses conceptions, car l’homme s’en invente d’autres se greffant sur les anciennes, de sorte que cela apparaît comme sans fin…

C’est ainsi que beaucoup de stigmatisés expiant leur lourd karma, né de leur blasphème à l’égard du Fils de Dieu souffrant sur la croix, s’imaginent, de surcroît, souvent à cause de leur entourage mystique, être des comblés de la Grâce du Seigneur, ce qui constitue, pourtant, une nouvelle fausse conception, synonyme, en ce cas, de nouveau blasphème contre Dieu ! Mais jusqu’où la souffrance doit-elle donc aller pour contraindre de tels êtres humains à un véritable retour sur eux-mêmes ?

Le Chemin sera long et difficile jusqu'à la Reconnaissance, dès lors où de tels êtres humains auront négligé l'occasion favorable de leur actuelle existence terrestre marquée, et s'y seront même souvent chargés, que ce soit de façon voulue ou par ignorance persistante, encore, d'une nouvelle faute née de la présomption, en se croyant des privilégiés par Dieu !

Ils n’ont, en réalité, aucune excuse, car chacun d’eux, comme chacun de vous, peut savoir, si seulement il le veut !

Et celui qui ne le veut pas, son blasphème le conduira… à la mort éternelle, réclamée par lui-même pour les blasphémateurs !

Vous qui aspirez à reconnaître, une bonne fois, dans le cours des événements survenant, la Justice Divine, par contraste avec les conceptions terrestres courantes de tous ceux qui vous entourent, efforcez-vous donc de considérer François, ce vivant exemple que vous avez sous les yeux, examinez-le bien, pour savoir si ce qui lui est arrivé est réellement juste ou injuste.

Faites cet effort, et, bientôt, vous verrez votre Faculté d'Intuition personnelle se déployer, plus forte et plus vivante, pour vous permettre, en définitive, de rejeter tous les préjugés appris résultant de vos conceptions défectueuses. Ainsi naîtra en vous une Intuition de Justice, pouvant se fier à elle-même, parce que, dans la reconnaissance de la Justice de tout ce qui arrive aux autres comme de tout ce qui vous arrive, vous saisirez enfin la Volonté Divine telle qu’Elle est, vous vous y tiendrez et vous agirez en fonction d’Elle !

François, effondré sur le sol, comme lors de ses crises habituelles, entendant parler de lui, avait progressivement levé les yeux, de sorte que son regard croisa, pour finir, celui d’éliphas-Antonio, qui, terminant son discours, baissait les siens vers lui.

Il revit et revécut alors la scène où éliphas leur avait demandé :

-         Comment sait-on que c’est un blasphémateur ?

Et, reprenant la parole, il répondit :

-         Je le sais, maintenant, que ce n’en était pas un, bien au contraire ! Le blasphémateur, c’était… moi !

-         Et comment le sais-Tu ? interrogea Antonio.

-         Parce que je suis marqué et que je saigne !

-         Jésus aussi portait les marques des clous et Il saignait !

-         Oui, mais, Lui, on L’avait réellement crucifié…, tandis que, moi, je suis marqué et je saigne… sans les clous !

-         Tu as bien observé ! Et c’est pour cela que Tu es devenu libre de Tes fausses conceptions, de sorte que, à l’inverse de celui que Tu viens de rencontrer, les stigmates sont, pour Toi, devenus une réelle Grâce, alors que, pour lui, ils sont une malédiction.

Va, maintenant, Ton chemin, avec cette conscience ; rachète-Toi pleinement par Ton témoignage, et ne commets jamais plus la faute du jugement sommaire, de sorte que Tu puisses Te tenir debout, lorsque le Juge de Dieu viendra, sur les nuées, pour juger les vivants et les morts !

 

Jacques Lamy