Les quatre Cadeaux de Noël

 

 

Hans, Werner, Peter et Ludwig étaient, dans l’ordre de naissance, quatre frères qui vivaient ensemble dans une chaumière de la Bavière.

Alors que l’on était dans le Temps de l’Avent, donc avant Noël, le Père Noël leur apparut, un soir, tandis qu’ils buvaient leur soupe près de l’âtre.

-         Beaucoup ne croient pas ou plus en moi, leur dit-il, pourtant j’existe réellement, la preuve c’est que vous me voyez devant vous. En fait, je suis le bon Génie de Noël, créé par la pensée de nombreux êtres humains et c’est moi qui exauce leurs vœux les plus intimes.

Tandis que le Père Noël les considérait avec bonhomie, les quatre frères se regardèrent, perplexes. Mais le Père Noël reprit :

-         étant donné que c’est, cette fois, un Noël particulier, vous avez le droit, chacun, de faire un unique vœu et il sera exaucé par les Puissances célestes, dont je suis le Messager. Alors, réfléchissez bien à ce que vous voulez demander, car – c’est une Loi de l’Esprit -, c’est exactement et uniquement cela que vous obtiendrez

Alors Hans, l’aîné et le plus sage des quatre, lui demanda :

-         Y a-t-il une limitation à ce qu’il est possible de demander ?

-         Aucune autre limitation que celle que vous confère votre nature humaine ! répondit le Père Noël, avec un grand sourire.

Hans hocha la tête, alors, de façon désordonnée, Werner, Peter et Ludwig demandèrent simultanément :

-         Pouvons nous avoir à manger, à boire, la richesse, la gloire… ?

Le Père Noël les coupa :

-         Je ne veux rien savoir à l’avance de ce que vous voulez. Vous devez simplement déposer votre soulier dans la cheminée et veiller à ce qu’il soit bien proportionné à ce que vous voulez.

-         Mais à qui devons-nous dire ce que nous voulons ? questionna Ludwig.

-         Il vous suffit de l’écrire sur un petit bout de papier et de placer celui-ci dans votre soulier, assura le Père Noël.

-         D’accord, dirent les quatre frères, qui n’avaient plus de question.

Se volatilisant, le Père Noël disparut alors comme il était apparu.

Les quatre frères employèrent le temps qui leur restait avant Noël à - tâche conséquente - confectionner chacun leur soulier ou chausson personnel, chacun à part des autres.

Le 24 Décembre en début d’après-midi, ils s’en vinrent tous les quatre placer chacun respectivement leur chausson devant la cheminée. Heureusement que celle-ci était très grande car les quatre chaussons, pour des chaussons, étaient immenses.

En fait, ils étaient inversement proportionnels à l’âge et à la taille des quatre frères.

-         Qu’avez-vous demandé ? voulut savoir Ludwig en interrogeant ses frères.

Mais aucun des trois autres n’accepta de répondre. Du reste, Ludwig, lui non plus, ne voulait rien dire à ses frères. Du fait du désir commun de confidentialité, chacun plaça son écrit dans une enveloppe fermée, laquelle fut déposée par chacun dans chaque chausson respectif.

L’après-midi passa lentement et Werner, Peter et Ludwig se demandaient à quel moment leur vœu allait se réaliser… Ils interrogèrent Hans et celui-ci répondit :

-         C’est forcément à Minuit.

-         Pourquoi Minuit ? voulut savoir Ludwig.

-         Parce que c’est l’Heurele Sauveur est né ! répondit Hans.

Ludwig hocha la tête.

-         Alors, nous allons rester là à attendre, dit Werner.

-         Non ! dit Hans, surtout pas !

-         Et pourquoi non ? demanda Peter.

-         Parce que si nous restons là devant, rien ne se passera ! assura Hans.

Les trois autres n’en étaient pas sûrs, mais, dans le doute, au cas où Hans aurait raison et dans l’impossibilité de pouvoir, de nouveau, interroger le Père Noël, ils préférèrent ne pas courir le risque et se résignèrent à aller se coucher avec Hans, dans la chambre commune…

Ils s’endormirent difficilement, la tête remplie de rêves extravagants. Seul Hans resta éveillé, contemplant la pleine Lune par la lucarne entrouverte…

Au premier des douze coups de Minuit, scandés par la vieille horloge de la salle commune, ils bondirent hors de leurs lits sur leurs pieds et voulurent aussitôt dévaler l’escalier, mais Hans les retint en leur criant :

-         Stoooop ! Il faut encore attendre ! Si vous arrivez avant le douzième coup, le charme est rompu et aucun vœu ne sera exaucé !

Ils furent figés dans leur élan, se maîtrisèrent avec peine et comptèrent les coups, un par un, en haut de l’escalier, jusqu’au dernier. Au douzième, ce fut la cavalcade et plus rien ni personne n’aurait pu les retenir. Ils traversèrent la salle commune en volant plus qu’en marchant et se ruèrent, chacun, sur leur chausson respectif !!!

Dans le chausson de Ludwig, le plus replet des quatre, il y avait un énorme boudin blanc, tout dégoulinant de graisse…

Dans le chausson de Peter, le plus avide des quatre, il y avait un immense lingot d’argent, tellement gros et tellement lourd que son chausson était complètement écrasé sous son poids…

Dans le chausson de Werner, le plus assoiffé de pouvoir des quatre, il y avait un sceptre d’or tellement long et pesant qu’il dépassait largement du chausson et le déséquilibrait copieusement…

Hans arrivait paisiblement derrière et regarda les physionomies de ses trois frères : Tout d’abord la stupeur, puis l’incrédulité, puis l’émerveillement, puis la perplexité, puis… la déception !

-         Frères ! Qu’est-ce qu’il y a qui ne va pas ? N’êtes-vous pas satisfaits de voir vos désirs enfin exaucés ?

Ludwig le regarda, décontenancé, et dit :

-         Mon boudin

-         Eh bien quoi ? interrogèrent Hans et les autres.

-         Il n’est pas cuit !

-         Donne-moi ton papier ! dit Hans.

-         Quel papier ? dit Ludwig, un peu hagard…

-         Celui où tu as inscrit ton vœu, bien sûr !

Ludwig se pencha par dessus son chausson graisseux et aperçut son enveloppe tout au fond du chausson – le Père Noël ne l’avait donc pas emportée en livrant son cadeau – partiellement écrasée par le boudin… Il s’en saisit avec peine et la tendit, couverte d’huile, à Hans, qui la prit du bout des doigts et, après l’avoir ouverte, déplia délicatement le message.

-         Comment se fait-il que l’enveloppe n’était pas ouverte ? interrogea Peter avec stupéfaction.

-         Je suppose que le Père Noël a une très bonne vue ! répondit Hans, qui - semblant juger cela plus important - se mit à lire le papier de Ludwig : « Je désire un énorme boudin blanc ! » Eh bien tu as ce que tu as voulu ? est le problème ?

-         Mais - qui l’eût cru ? - je te dis qu’il est cru ! Comment veux-tu que je cuise une pareille énormité ? Aucune marmite de la cuisine ne peut contenir un tel mastodonte !

-         Si tu n’as pas précisé que tu le voulais cuit, c’est de ta faute ! affirma Hans.

Ludwig demeura éberlué, tout en se grattant la tête puis le ventre, puis il s’affala, complètement découragé, sur son énorme boudin blanc pas cuit

Puis ce fut le tour de Peter de se plaindre :

-         Oui ! qu’est-ce que je peux faire d’un pareil morceau !?! Je ne peux même pas le bouger… Et il désignait l’énorme lingot d’argent, qui avait écrasé tout son chausson.

-         Mais qu’as-tu demandé ? le questionna Hans. Montre-moi ton papier !

Peter regarda dans son chausson et aperçut son message au Père Noël en partie coincé sous le lingot… Il se baissa et tira sur l’enveloppe pour l’extraire. Il y réussit à grand peine, après en avoir déchiré un petit bout resté coincé sous le lingot.

Werner remarqua que cette enveloppe, elle non plus, n’avait pas été ouverte par le Père Noël.

-         Incroyable ! dit-il, en se grattant la tête. Comment a-t-il donc fait ?

-         J’ai demandé de l’argent ! dit Peter.

-         C’est bien cela, en effet ! confirma Hans, lisant le papier, après avoir ouvert l’enveloppe. Eh bien, tu voulais de l’argent, tu en as eu !

-         Mais avec cela je ne peux rien faire ! C’est des pièces que je voulais, des pièces d’argent, pour acheter plein de choses !

-         Cela n’est pas précisé sur ton papier, dit Hans, tranquillement. Le Père Noël avait pourtant bien dit que chacun devait bien réfléchir à son désir, avant de l’exprimer !

Peter se laissa tomber, affalé sur le lingot, complètement dé{pé}pité

Alors Hans se tourna vers Werner et l’interrogea :

-         Et toi, quel est ton problème ?

-         Que veux-tu que je fasse avec cela ? dit Werner, et il désignait le grand sceptre d’or, dessinant une grande échancrure dans son chausson…

-         Il est magnifique ! fit observer Hans. Pourquoi n’es-tu pas content ?

-         Mais parce que je ne peux pas le porter ! dit Werner, tout en essayant - en vain - de le soulever.

-         Normal, fit remarquer Hans, c’est de l’or !

-         Et alors !

-         Ne sais-tu pas que la densité de l’or est très grande, un décimètre cube pèse près de vingt kilos ? Ici, vu sa taille, il doit bien faire au moins cinq décimètres cubes. Pas étonnant que tu ne puisses porter ton sceptre, car il doit bien peser plus de cent kilos ! Qu’avais-tu donc demandé ?

-         J’avais demandé le… pouvoir, dit Werner, hésitant.

-         Donc tu as eu un Bâton de Pouvoir ! Logique, constata Hans. Montre-moi ton papier !

Werner hésita, plongea dans son chausson et trouva, entortillée à la base de son sceptre, son enveloppe, fermée elle aussi (Werner le vérifia en l’examinant plusieurs fois sous toutes les coutures !), qu’il dégagea précautionneusement et, comme à regret, remit à Hans.

Après l’avoir ouverte de son index, celui-ci lut :

-         « Je veux un maximum de pouvoir ! » Eh bien, toi aussi tu as été parfaitement exaucé, dit Hans. La seule chose que tu n’avais pas prévue, c’est que c’est toi qui ne serais pas à la hauteur pour disposer d’un tel pouvoir, car il semblerait que le maniement d’un tel sceptre soit réservé aux très gros bras…, dit-il en souriant un peu ironiquement.

Il y eut alors un grand silence contrit ; pendant un long moment les trois se regardèrent piteusement, sous le regard, mi-compatissant mi-amusé, de Hans.

Puis, soudain, Werner s’exclama :

-         Et toi, qu’as-tu demandé ? Qu’as-tu eu, toi ?

Alors, après s’être regardés les trois, ils voulurent tous se précipiter sur le chausson de Hans, un peu à l‘écart, mais, de nouveau, Hans leva le bras :

-         Stoooop ! cria-t-il.

Et ils s’immobilisèrent. Alors, il ajouta, péremptoire :

-         C’est mon vœu, mon cadeau et mon chausson !

Puis, il s’approcha solennellement de son chausson et regarda délicatement dedans, sous l’œil interrogateur des trois autres, lesquels le virent, blêmissant sous l’effet de surprise, se reculer précipitamment.

-         Il doit y avoir un monstre dans son chausson ! dit Ludwig en ricanant sottement.

-         Ou bien une sorcière ! surenchérit Peter, tout en ricanant non moins sottement…

-         Mais quel vœu as-tu donc fait ? questionna avidement Werner.

-         J’ai demandé… l’Amour, balbutia Hans, encore sous l’effet du choc.

-         Et alors, l’as-tu eu ? voulut savoir Peter en tentant de nouveau de s’approcher.

De nouveau, Hans s’interposa :

-         Ne t’approche pas !

-         Montre-nous ta lettre ! réclama Werner.

-         Oui, ajouta Ludwig, tu as vu les nôtres, maintenant nous avons le droit de voir la tienne.

Toutefois, Hans ne bougeait pas, mais sentant le moment où ils allaient passer outre son interdiction, il se décida enfin, hésitant, à s’approcher. Fermant les yeux, il tendit la main, prit à tâtons l’enveloppe fermée, en retira sa lettre de vœu au Père Noël et remit soigneusement l’enveloppe exactement où il l’avait prise…

Puis, sa lettre à la main, il regarda les trois autres, en proie à une forte émotion.

-         Lis-la ! dit Werner.

-         Lis-la ! lis-là ! reprirent les autres.

Comme il ne la lisait toujours pas, Werner s’approcha et la lui prit des mains, puis il lut à haute voix :

-         Je voudrais que l’Amour entre dans ma vie, sous la forme d’une… Femme !

Les trois allaient se précipiter sur le chausson de Hans, lorsque, soudain, le Père Noël en personne se tint devant eux, leur bloquant le passage.

De stupeur, ils s’arrêtèrent dans leur élan. Le Père Noël leur dit :

-         Par effet de l’Amour Divin, chacun a reçu exactement selon son désir, et tout est Justice !

Puis il se pencha sur le chausson et y contempla, fier de lui, l’un des plus beaux Cadeaux que, agissant dans le Rayon de l’Amour Divin, il ait jamais eu l’occasion d’offrir à un être humain et aussi le plus beau Cadeau de Noël que Hans ait jamais eu de toute sa vie : un Amour de Femme, tout tendrement et délicatement blottie au fond du chausson ; elle dormait, et l’enveloppe de Hans était posée sur elle, au bas de son ventre.

-         Mais, questionna Hans, perplexe, pourquoi donc n’est-elle pas habillée ?

-         Donne-moi ton papier ! dit le Père Noël, pour toute réponse.

Werner le tendit à Hans, qui le remit au Père Noël, lequel relut :

-         « Je voudrais l’Amour sous la forme d’une Femme ! » Je ne vois pas ici que Tu aies précisé autre chose que le fait que Tu voulais, pour ainsi dire, … un « Amour de Femme », dit le Père Noël, et je crois que Tu l’as, non ? Lorsqu’un couple d’êtres humains sollicite un enfant et qu’il leur arrive chez eux dans leur foyer, il me semble qu’il leur arrive aussi exactement dans le même état que Ton propre Cadeau, n’est-ce pas ?

-         En effet, convint Hans en souriant. Il venait de comprendre la Leçon et l’admettait parfaitement.

Il se rendait compte que lui aussi, bien que différent d’eux,  avait commis, pour une part, la même erreur que ses frères, en s’imaginant que les Lois de la Puissance céleste allaient lui donner autre chose que ce qu’il avait effectivement demandé

Malgré cela, à l’inverse de ses frères, il était entièrement comblé de ce que l’Amour de Dieu lui avait apporté en ce merveilleux Noël : Une vraie Femme à aimer, une vraie Femme pour l’aimer !!!

Le Père Noël ajouta :

-         Tout comme il incombe aux parents de vêtir leurs enfants, c’est maintenant à Toi d’habiller Ta Femme avec autre chose que seulement l’enveloppe de Ton vœu. Tu dois aussi et surtout l’habiller de Ton Amour, désormais…

Alors que Hans allait le remercier, le Père Noël l’interrompit :

-         Ne me remercie pas ! Je ne suis qu’un Serviteur exécutant du Plus-Haut, Qui, par Amour, vous a offert le plus grand Cadeau qui soit, il y a déjà deux mille ans, et dont les créatures humaines ont le Devoir de constamment se montrer dignes !

Les Lois du Créateur font en sorte que chacun reçoive toujours très exactement ce qu’il a demandé, entièrement et uniquement. C’est cela que vous devez tous comprendre, car, en réalité, quoi qu’il vous échoie, c’est toujours ce que vous avez voulu, et c’est précisément en cela que reposent l’Amour et la Justice du Créateur.

Aussi, qui que ce soit, celui qui se plaint du Cadeau qu’il reçoit, celui là n’a rien compris à l’Amour de Dieu, et celui-là sera, toujours et toujours plus, un proscrit dans la Création de son Maître et Seigneur.

Ouvrez-vous à l’Amour du Créateur et de Son Fils personnifiant l’Amour ! Tel est mon vœu pour vous, êtres humains !

Ensuite, le Père Noël retira sa cape rouge et la déposa délicatement sur la gracieuse forme allongée dans le fond du chausson de Hans et dit :

-         En fait, c’est dans les chaussons que naissent certaines femmes, tout du moins celles qui naissent et qui sont offertes en Cadeau au cours de la Nuit de Noël.

Puis il ajouta :

-         Hans, Tu peux maintenant prendre Ta femme par la main et partir avec elle vers une nouvelle vie. Grâce à ce manteau rouge comme l’Amour, elle sera protégée et ne craindra pas la morsure du froid, lorsque vous cheminerez tous deux dans la neige

Comme stimulée par la mystérieuse irradiation de la cape rouge, Sofia, s’éveillant à la vie, ouvrit les yeux et se dressa hors du chausson rouge, lui aussi, tandis que Hans, protecteur, attachait la cape autour d’elle. Il l’aida à s’extraire du chausson et tous deux prirent la direction de la porte s’ouvrant sous la pression du blizzard, partant vers leur nouvelle vie en direction du Sud.

Ils n’avaient pas encore franchi le seuil de la porte que le Père Noël avait déjà disparu.

Les trois frères restants demeurèrent là, médusés, regardant, contrits, leurs trois chaussons remplis de désirs sans vie, donc morts, tandis que le désir vivant de leur frère avait, sous leurs yeux, déserté son chausson, pour l’accompagner dans sa nouvelle vie, à la Gloire du Créateur.

Et dans l’âtre, les salamandres dansaient, dansaient, dansaient, tout en battant des mains…

 

 

Conte de Noël
de
Jacques LAMY