Le nouveau Noël

 

 

C'était, vers la fin du XIXème siècle, dans une petite ville du Nord-Est de l’Allemagne, au bord de l’Elbe… La neige tombait à gros flocons. Dans la rue froide, une grelottante petite marchande de cierges essayait de se réchauffer en grillant quelques allumettes.

C’était la Santa Klaus[1] et Noël approchait… Comme tous les Dimanches, à cette heure-là, le marchand de marrons chauds, poussant sa carriole, descendait la Kirchstraße[2] … Il aperçut la fillette qui avait froid, et, devant le numéro 147, il s’arrêta à côté d’elle et lui proposa d’approcher ses mains de son foyer

La petite fille approcha ses mains du ventre de fonte, qui contenait la braise… Les couleurs lui revinrent. Le marchand retira sa montre de son gousset, lui tendit un marron chaud, et dit :

- « C’est l’heure de manger. »

Puis il invita la petite fille à l’accompagner et ils entrèrent dans l’auberge qui se trouvait juste là, et il commanda au Schenkwirt[3] un repas pour les deux…

Le patron, qui s’appelait Theodor[4], leur servit une abondante choucroute garnie, assortie, pour lui, d’une bonne bière, qui honorait son inventeur, le moine Gambrinus… Pour elle, il commanda une limonade.

- « Alwin, une limonade pour la Fräulein ! » commanda le père à un petit garçon d’environ neuf ans, qui se trouvait derrière le comptoir.

Le petit garçon, habitué à obéir, s’exécuta promptement et joyeusement, et fit un grand sourire à la fillette en la servant...

- « C’est votre fille ? » demanda Theodor, qui avait l’air de connaître le client.

- « Depuis très peu de temps ! » répondit, caressant ses favoris et regardant la petite, avec un grand bon sourire, le convive, qui s’appelait Hellmuth.

- « Ah ! Je comprends mieux », reprit Theodor, « la rue, ce n’est pas vraiment la place des enfants, surtout en cette saison… » « Vas-Tu à l’école ? », ajouta-t-il à l’adresse de la fillette.

L’école primaire – la « Bürgerschule » - se trouvait dans la même rue, un peu plus bas, sur la gauche…

- « Non, je n’y vais pas », répondit la petite, qui pouvait avoir sept ou huit ans,  voire moins, « car je dois gagner de quoi manger… »

- « Il semble bien que Tu aies gagné de quoi manger, aujourd’hui, sans avoir eu besoin de travailler », remarqua Theodor.

- « À propos de travailler », demanda Hellmuth, qui, regardant autour de lui, voyait qu’ils étaient les seuls hôtes de la Gasthaus[5], « comment se fait-il que l’auberge soit ouverte un Dimanche ? »

- « C’est tout à fait exceptionnel », dit Theodor. « En fait, elle n’est pas ouverte, car, bien sûr, nous ne travaillons jamais le Dimanche… »

- « Eh bien, alors, comment se fait-il ? »

- « Aujourd’hui, Emma et moi, nous recevons des Amis », dit Theodor.

- « Mais alors, nous n’aurions pas dû entrer ! » dit Hellmuth.

- « Si, précisément », répondit Theodor, « parce que, le jour de la Saint Nicolas, nous avons beaucoup d’Amis… »

- « Ah ! je vois », dit Hellmuth, devenu songeur…

À ce moment-là, l’on entendit de la musique dans la rue ; Alwin Robert courut voir : La rue, quelques minutes plus tôt presque déserte, était, malgré le froid, remplie de monde et surtout d’enfants, bien emmitouflés, parfois jusqu’aux yeux, massés sur les trottoirs.

Le défilé de la Santa Klaus – qui incluait aussi celui de la sainte Barbe[6] et celui de la sainte Cécile[7] - remontait, très bariolé, vers la gauche, en fanfare, en direction de la Christuskirche[8], située à quelques centaines de mètres sur la gauche – où ils allaient pour se faire bénir par le pasteur -, et de la Marktplatz[9], la grande place de la ville, où se trouvait le Rathaus[10], où ils allaient également pour entendre le discours du Bürgermeister[11].

Santa Klaus en personne y trônait en bonne place et jetait des friandises aux enfants sur son passage. En tête, la fanfare municipale tambourinait à tue-tête et les pompiers, rouges et casqués, fermaient la marche…

Elisabeth – tel était le nom de la petite marchande d’allumettes -, qui avait promptement suivi Alwin, tendait aussi ses petites mains pour en attraper. La concurrence étant rude, Alwin fut fier de pouvoir en attraper quelques-unes pour elle ; il ne garda rien pour lui.

Hellmuth, qui, depuis sa choucroute, surveillait la scène, dit à Theodor :

- « C’est triste de voir une petite, si jeune, devoir être dans la rue par ce temps, au lieu d’être au chaud, près du poêle, à l’école… »

- « Oui », répondit Theodor, « surtout que dans la rue on s’instruit moins… »

- « Quoi que… », répartit Hellmuth, qui passait le plus clair de son temps dans la rue, précisément… « Elle est orpheline », ajouta-t-il, « oui, je pourrais l’adopter…, mais, avec moi, elle serait aussi à la rue… », dit-il avec un soupir…

- « Au moins, aujourd’hui, c’est différent », reprit Theodor, « grâce à Saint Nicolas, la tradition de l’hospitalité donne un toit, au moins pour un jour, aux sans-abri… »

- « Vous êtes des gens pieux et qui craignez Dieu, c’est sûr », reprit Hellmuth. « Avez-vous eu le temps d’aller quand même au Gottesdienst[12], ce matin ? »

- « Bien sûr ! », répondit Clemens Theodor ; « nous ne manquons jamais cela, bien que nous ressentions que la mise en pratique du Troisième Commandement requiert notre journée entière. Mais, aujourd’hui, c’est aussi pour Lui que nous travaillons, car l’ouverture de l’auberge ne nous rapportera rien à nous-mêmes. »

Le défilé était presque passé… Tout en queue de celui-ci se trouvait une femme d’un certain âge, en costume traditionnel de Bohême et toute chargée de broderies… C’était, manifestement, une colporteuse

En fait, elle n’avait pas que des broderies. Sur son dos, elle portait aussi un sac, qui semblait être rempli d’ustensiles de cuisine et de ménage

Soudain, de façon imprévisible, comme prise d’une impulsion subite, elle quitta le cortège finissant et se dirigea résolument vers Theodor, debout sur son seuil.

Celui-ci crut, tout d’abord, qu’elle voulait leur vendre des broderies ou des ustensiles et fit un geste de dénégation ; il n’était pas question, ici, d’acheter quelque chose un Dimanche !

Mais elle ne se laissa pas déconcerter et, très souriante, s’approcha de lui et, avec assurance, lui dit :

- « Guten Tag ! Ich muß einen Besuch bei Deiner Frau machen... »[13]

Devant cette assurance, Theodor se recula et lui ouvrit grand la porte. La Bohémienne entra dans l’auberge, déchargea son sac de sur son dos et regarda autour d’elle. Theodor hésita un instant : Devait-il lui dire de monter, ou bien faire descendre Emma ?

Il appela : « Emma ! De la visite pour Toi ! »

Lentement, Theresia Emma descendit l’escalier. C’était une charmante jeune femme brune d’environ trente-cinq ans. Elle portait une ample robe rose, avec de riches broderies.

La marchande ambulante la regarda attentivement :

- « Veux-Tu quelque chose ? », lui demanda-t-elle, avec son grand sac dans les mains.

Interloquée par le « Tu » de cette étrangère, étonnée que Theodor, au lieu de l’éconduire, introduise cette commerçante chez eux un Dimanche, Emma répondit :

- « Non, je ne désire rien, car j’ai tout ! »

Soudain, les yeux de l'étrangère s'agrandirent. Elle lâcha son grand sac à dos et tous les ustensiles se répandirent sur le sol.

Sur un ton presque chantant, elle s'écria:

- « Oui, Tu as raison, Tu as tout ! Tu es comblée ! Tu es bénie entre toutes les femmes, car tu offriras au monde une grande Lumière ! Oui, bénie sois-Tu entre toutes les femmes ; en vérité, Ton fils est Celui Qui doit venir. »

Emma, interdite, entendit ces singulières paroles et ne répondit rien.

Mais, laissant son sac et ses affaires sur le sol, l'étrangère, décontenancée, elle aussi, au sujet de ce qu’elle avait dit, bousculant presque Theodor, lui aussi médusé, sortit de l’auberge et, rapidement, s'éloigna dans la rue, en direction de l’église.

C'était élisabeth, jadis mère de Jean, qui avait parlé à travers cette femme.

- « Rattrape-la ! », s’exclama-t-il enfin à l’adresse d’Alwin - qui, le défilé s’étant éloigné, venait de rentrer et avait croisé l’étrangère -, en désignant tous les objets répandus sur le sol.

Alwin tourna les talons et ressortit dans la rue en courant…

Elisabeth s’approcha des objets et commença à les ramasser, pour les remettre dans le sac…

Theodor regarda Emma : Radieuse, elle avait posé ses mains sur son ventre, qui, de façon à peine visible, commençait tout juste à s’arrondir… Une supra-terrestre Félicité avait pris possession d’elle.

- « Approche ! », lui dit-elle.

Theodor s’approcha ; elle lui prit les mains et les posa sur son ventre. Theodor sentit distinctement que cela bougeait à l’intérieur…

- « C’est la première fois… », dit-elle, « cela a commencé juste à l’instant où elle a dit : Tu offriras au Monde une grande Lumière ! »

Saisi d’une subite Intuition, Theodor, quotidiennement imprégné par la lecture de la Bible, déclara :

- « Son âme vient de s’incarner ; c’est comme lorsque Marie est venue voir Elisabeth ; juste à ce moment-là, le bébé a bougé pour la première fois… »

- « Oui, c’est cela ! », confirma Emma, jubilante. « C’est pour dans quatre mois et demi », ajouta-t-elle.

- « Alors, ce sera juste l’époque de Ta Fête[14] ! »

- « Oui », dit-elle ; « son âme arrive juste au milieu de ma grossesse. Oh ! que je suis heureuse ! Il me semble que je suis tout entourée d’une foule de lumineuses Figures ! »

- « Ce sera un Bélier ! », dit encore Theodor.

- « Cela, je le sens déjà ! », dit en riant Emma, qui avait senti comme un "coup de Bélier" à l’intérieur de son ventre…

Le couple avait oublié la présence d’Hellmuth, qui se faisait tout petit derrière sa chope de bière… Il s’étonnait d’être là, pour assister à un mystérieusement grand Événement, qui le dépassait considérablement, il le sentait nettement, et, osant à peine respirer, il voulait surtout ne rien troubler par sa présence…

- « Tu crois que ce sera un garçon ? », demanda-t-elle.

Theodor n’avait pas réfléchi. Cela lui avait semblé évident. Maintenant qu’il y réfléchissait, il avait un doute

- « Et Toi ? »

- « Oui, c’est un garçon, je le sais ! »

Theodor regarda Theresia Emma plus attentivement :

Emma était-elle choisie par la Lumière ? Elle était limpide et pure, simple et modeste, remplie d'heureuses et droites convictions, pleine de Fraîcheur et d'Énergie, d'Application et de bonne volonté.

Comme jadis la mère du Sauveur, Emma avait grandi et vécu dans un cercle simple et propre de bonne bourgeoisie. Simple et pure de corps et d'âme. Emma, qui était bonne épouse et mère fidèle, se tenait éloignée de toute mystique. Mais elle vivait intensément dans les profondeurs de son esprit beaucoup de choses qui ne parvenaient pas à remonter à la surface. De nombreux fils lumineux nourrissaient les Forces qui reposaient inutilisées en elle et qui, par attraction, créaient les aménagements nécessaires au développement terrestre de l'Enfant à venir.

Sans arrêt au travail, du matin au soir, la future mère était la dernière de la maison à aller se reposer et la première qui se levait. L'ordre et la propreté, là où elle régnait, se propageaient comme une force bienfaisante. Son voisinage respirait la circonspection, la tranquillité et la sécurité.

Sa voix et son langage étaient aussi clairs et déterminés que son caractère. Elle créait un bel intérieur à l'époux et, déjà, une maison parentale inoubliable pour l'âme qui venait de s’incarner...

Theodor soupira de Plénitude ; il se sentait un homme, un époux et un père comblé, et la venue de son cinquième ne faisait que le réjouir encore davantage…

Après que Emma soit remontée, il s’assit là, dans la salle de réception, sur un banc, près du feu, et regarda l’âtre, passant en revue les intenses années écoulées dans la tranquille activité…

Emma était remontée à l’étage. Elle s’activait déjà au berceau. C’était une nature très tranquille, suscitant le calme autour d’elle, et en même temps très vive. Par sa vie quotidienne, c’est ainsi qu’elle servait DIEU, continuant à ignorer, malgré l’Annonce, la grande grâce qui devait échoir à la Terre. Ainsi édifiait-elle, en elle et autour d'elle, un pur Temple pour la Volonté du Créateur. Autour d'elle flottaient les pures et grandes Forces qui pouvaient se pencher uniquement sur les mères appelées par la Lumière, car celles-ci offraient elles-mêmes des ponts sur lesquels les purs rayons parvenaient à la Terre.

Elle se sentait très heureuse. Elle devenait toujours plus calme et plus souple. Bien des fois, elle méditait devant sa fenêtre.

Ce jour-là, juste après avoir arrangé le berceau, il arriva un Rayon de la plus éblouissante Lumière, qui l'effraya et la combla de bonheur. Cela retentissait autour d'elle comme le chant de nombreuses voix d'enfants.

À l'intérieur luisait une merveilleuse Lumière, qui lui coupa le souffle. Calmement, elle joignit les mains.

L'on entendait bruisser comme des ailes d'Anges et, du Haut, une grande Force s'approcha. Ainsi qu'une Épée tranchante et étincelante, une Lumière pénétra le corps de la femme en Prière.

Et son âme implora : « Seigneur, accorde-moi la Force, afin que j'accomplisse le bien en toutes circonstances. »

Aussitôt que le courant de Lumière eut rempli de sa force le réceptacle terrestre, une intense vie spirituelle commença à se mettre en place autour de la mère.

De tous les pays de la Terre, c’était le pays allemand qui avait été élu, comme étant le plus mûr de cette époque, pour recevoir la Volonté de Dieu.

En dépit de ce puissant Événement spirituel, Emma et Theodor devaient demeurer sans en comprendre la réelle et profonde Signification, afin que l’Enfant soit élevé le plus naturellement du Monde, comme un enfant ordinaire

En bas, Elisabeth avait fini de ramasser les objets sur le sol et les avait disposés sur le comptoir. Sortant de sa méditation, Theodor la regarda et lui demanda :

- « D’où viens-Tu ? »

Avec un candide sourire, elle répondit :

- « Je viens des Monts Métallifères[15]. »

Theodor et Hellmuth connaissaient cette région, qui n’était pas très éloignée… Il y avait là de vertes forêts qui recouvraient des montagnes de moyenne hauteur… Dans le sol se trouvait du minerai

- « Oui, je suis venu ici pour dire quelque chose aux êtres humains » poursuivit-elle.

- « Qu’as-Tu à dire aux êtres humains, mon enfant ? », demanda Hellmuth, qui finissait sa bière.

- « Tu dois arrêter de boire ! »

Hellmuth, interloqué, posa sa chope.

Alors, Elisabeth, qui, de surprenante manière, avait, antérieurement, déjà annoncé des événements importants et vérifiables, tels que la mort de sa mère et celle de son père, de sa petite voix candide et grave, se mit, ses grands yeux bleus fixés sur un invisible lointain, à prophétiser :

- « Bientôt arrive un Enfant, qui va naître, ici, à proximité. Ce sera un Homme simple, Il s’appellera Justice et ce qu’Il dira sera Vrai et ce qu’Il fera sera Juste. Cet Homme changera tout d’un coup.

  « Le Dieu bien-aimé sera avec cet Homme et avec sa femme, et les Deux feront de grands Miracles. Il aidera tous les êtres humains qui Le reconnaîtront. Mais la plupart ne Le reconnaîtront pas. L’Homme a un Signe, une Croix, mais tous ne pourront pas La voir ! Mais ceux qui pourront voir la Croix, ceux-là seront heureux ! »

Lorsqu’elle eut terminé, les yeux d’Elisabeth regardèrent tranquillement Hellmuth et elle lui dit :

- « Maintenant, Tu peux finir Ta bière… »

 

 

Dix-huit jours plus tard, Theodor et Emma se rendirent, avec Alwin, à la Christuskirche, pour le Gottesdienst de Minuit, commençant à 23H30.

Le pasteur, avec onction, déroulait sa cérémonie bien calibrée.

Emma songeait en elle-même :

Une jubilante gratitude, la félicité, auraient dû vibrer en chaque parole prononcée par le pasteur, pour la Grâce que Dieu témoigna en envoyant, jadis, Son Fils aux êtres humains.

Pourtant, elle l'y cherchait en vain, à chaque instant. Le joyeux Élan vers les Hauteurs Lumineuses faisait défaut! D'Allégresse due à la Gratitude, il n’y avait aucune trace. Même une oppression se rendait perceptible en elle, une oppression qui trouvait son origine dans une déception qu’elle ne savait pas s'expliquer.

Elle regarda autour d’elle : Une seule chose pouvait, partout, être trouvée, quelque chose qui retransmettait, comme gravée avec le ciseau le plus acéré, la façon d'être des gens lors du Service de Dieu, quelque chose qui caractérisait - ou contraignait même à s'incarner de façon audible - tout ce qui vibrait avec la cérémonie en cours : à travers la voix prédicante du pasteur se traînait, tel un prêchi-prêcha, comme un accent mélancolique, dont la répétition constante la rendait lasse et qui se déposait, comme un voile gris, sur les âmes des auditeurs en passe de s'endormir.

Malgré cela, il y résonnait aussi comme une lamentation cachée pour quelque chose de perdu ! Ou pour quelque chose qui n’avait encore jamais été trouvé! Elle écouta attentivement : chaque parole était imprégnée de ce caractère singulier et frappant !

Jusqu’à présent elle n’en avait pas été consciente, mais pourtant, cela se passait ainsi!

Là résidait la vérité. Cela se produisait de façon non voulue de l'orateur et montrait tout à fait distinctement de quelle manière vibrait l'ensemble de la cérémonie. De joyeux Élan vers le Haut il ne pouvait en être question ici, pas plus que d'un ardent Flamboiement vers le Haut, mais c'était, au contraire, comme un feu qui couvait, terne et morne, et qui ne possédait pas la force de librement percer vers le haut.

Il manquait l'ardeur de la conviction, il manquait la force du victorieux savoir, qui, en une exultante Jubilation, veut l'annoncer à tous les prochains !

Cette insipide cérémonie, un Service de Dieu ? Tout son être se révoltait contre cette idée !

Elle prit le bras de Theodor et lui chuchota à l’oreille :

- « On s’en va ! »

Theodor la regarda, interloqué, mais il avait appris à lui faire confiance, lorsqu’elle ressentait fortement quelque chose, même si les apparences étaient contre elle…

Le Service de Dieu, Emma le manifestait dans l'activité entière de son existence, dans la vie de tous les jours elle-même ; c'est ainsi qu’elle servait le Créateur, reconnaissante, exultante pour la Grâce de pouvoir exister !

Ils allaient se diriger vers la sortie, lorsqu’ils aperçurent Hellmuth, qui se tenait non loin de la crèche ; à sa droite se trouvait Elisabeth.

Soudain, la fillette le quitta et s’approcha de la crèche ; dans ses bras, elle tenait une poupée ressemblant à un bébé. Sans savoir pourquoi, Theodor sortit sa belle montre des jours de Fête du gousset de son gilet brodé et la regarda : Il était Minuit.

Elisabeth escalada l’estrade sur laquelle se tenait la crèche et déposa délicatement le petit poupon aux joues roses dans la mangeoire, entre Joseph et Marie.

L’apercevant soudain, le pasteur, qui était en train de dire :

- « Un Sauveur nous est donné ! »

s’interrompit et la regarda, perplexe. Il aurait voulu l’empêcher, surtout que le moment pour cela n’était, en fonction de son programme, pas encore arrivé, mais, sous les yeux de tous, il n’osait le faire…

Après avoir soigneusement bordé le poupon dans son petit lit improvisé, Elisabeth s’agenouilla devant lui et joignit ses petites mains…

Tous les regards s’étaient tournés vers elle.

Rarement la Nuit de Noël avait été aussi silencieuse[16]

Alors, de nouveau, de sa petite voix bien timbrée, elle parla :

- « Il S’appelle Justice ! », dit–elle. « C’est Lui la Volonté, Il vient après l’Amour. Il est aussi le Fils de Dieu. C’est le Frère de Jésus. Bientôt, Il sera là. »

Malgré sa petite voix, même dans le fond de l’église on l’entendait… Cette fois, c’était trop, le Pfarrer[17] voulut l’interrompre :

- « Va-t-en d’ici, tout de suite ! », cria-t-il.

Mais, d’une seule voix, la foule des croyants, qui voulai{en}t entendre la suite, lui fit :

- « Chut ! »

Il dut se taire, pour ne pas se faire huer…

À ce moment-là, Emma aperçut la Bohémienne, qui se tenait aussi non loin de la crèche et regardait intensément Elisabeth…

Son cœur se mit à battre plus fort, et cela tressaillit en elle, sous son cœur…

Elisabeth reprit :

- « Il porte en Lui une grande Lumière. Il parlera comme Jésus. Il enseignera aux êtres humains à vivre dans la Lumière de la Vérité. Peu Le reconnaîtront. Beaucoup Le haïront. »

Le pasteur voulut, de nouveau, lui crier de se taire, qu’il n’y avait qu’un seul Fils de Dieu, mais sa voix s’étrangla.

Elisabeth, transfigurée, continua :

- « S’Il quitte la Terre sans être reconnu des êtres humains, alors les êtres humains seront abandonnés. Alors, la Magnificence de Dieu ne redescendra, de nouveau, sur la Terre que lorsque celle-ci, purifiée et libérée, s'empressera vers Elle. Vous tous, êtres humains encore présents sur la Terre, vous aurez alors à vivre un dur et désespéré combat, avant que, pour vous, la tout à fait sainte et sublime Perfection du Fils de Dieu rayonne, de nouveau, à partir de Son réceptacle terrestre. »

Lorsqu’elle eut terminé, Elisabeth se leva et se dirigea tranquillement vers la sortie. Hellmuth se leva et la suivit. La Bohémienne se leva et les suivit.

Emma et Theodor sortirent, à leur tour, avec Alwin. Puis, un par un, les fidèles commencèrent aussi à sortir…

Quelques minutes plus tard, le pasteur, solitaire, regardait les trois pages de prêche qui lui restaient encore à lire. À part quelques vieilles grenouilles, abasourdies, éparpillées ici et là, l’église était vide. Le pasteur, abandonnant ses feuillets, sortit par la sacristie. Les grenouilles sortirent à leur tour…

Sur la petite place donnant sur la Kirchstraße, à la lueur de la Lune, Elisabeth regardait intensément l’Inscription inscrite sur le fronton de l’église : « Ich bin der Weg, die Wahrheit und das Leben »[18]. Entre un Ange tenant une Coupe à gauche et un autre tenant une Couronne à droite, un Christ royal était représenté au-dessus de la porte, de part et d’autre de laquelle se déroulaient les douze Signes du Zodiaque.

Elisabeth s’approcha et tendit sa petite main vers le Bélier, sans rien dire.

La Bohémienne s’approcha d’Hellmuth et lui tendit une feuille, puis disparut rapidement.

Hellmuth regarda la feuille et, devant la foule rassemblée, parmi laquelle se trouvaient encore Emma et Theodor avec Alwin, il lut à voix haute :

« Allez et apprenez, et vous reconnaîtrez bientôt vous est offert le véritable Pain de Vie. Avant toute chose, utilisez les réunions en commun comme des Heures consacrées à la Glorification de Dieu.

Faites de tout ce que vous pensez et accomplissez un Service de Dieu ! C'est alors que cela vous apportera la Paix à laquelle vous aspirez. Et si les êtres humains vous persécutent, vous aussi, durement, que ce soit, maintenant, par envie, par méchanceté, ou par de viles coutumes, vous portez la Paix en vous, pour toujours, et elle vous permettra, en définitive, à vous aussi, de surmonter toute difficulté !

Prenez cela comme Cadeau de Noël, dans la Reconnaissance de l'inconcevable Amour de Dieu, Qui apporte de l'Aide à ceux qui, dans l'Humilité, s'ouvrent à cet Amour ! »

 

Mickaël Balthazar



[1] « Santa Klaus » : « Saint Nicolas », considéré comme le Père Noël et fêté le 6 Décembre.

[2] « Kirchstraße » : « Rue de l’Église »

[3] « Schenkwirt » : « aubergiste ».

[4] « Theodor » : « Théodore » ; prénom signifiant : « Celui qui adore Dieu ».

[5] « Gasthaus » : « maison d’hôte{s} », « auberge ».

[6] Sainte Barbe : « sainte patronne » des pompiers.

[7] Sainte Cécile : « sainte patronne » des musiciens.

[8] « Christuskirche » : « église du Christ ».

[9] « Marktplatz » : « Place du marché ».

[10] « Rathaus » : « Hôtel de Ville ».

[11] « Bürgermeister » : « Maire {de la ville} ».

[12] « Gottesdienst » : « Service de Dieu » ; nom donné aux offices religieux, en pays germaniques.

[13] « Bonjour ! Je dois rendre visite à Ton épouse. »

[14] Sainte Emma, fêtée le 19 Avril.

[15] « Erzgebirge » : « Monts métallifères ».

[16] « Stille Nacht » : « Nuit calme/tranquille/silencieuse ».

[17] « Pfarrer » : « pasteur », « prêtre », « curé ».

[18] « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ».