Le Tu/Toi ment

 

Était-il content Joël, ou appréhendait-il cette tournée d’entreprises qu’il devait accomplir avec sa secrétaire Angéla ?

La perspective de voyager à travers le pays lui plaisait et Angéla avait assurément son côté plaisant.

Mais ces longues heures de tête-à-tête à prévoir au cours du voyage, et notamment dans la voiture, n’allaient-elles pas les placer dans un certain embarras ?

Joël devait impérativement être accompagné et Angéla s’était aussitôt proposée. Le grand patron avait tout aussi vite entériné la chose, de sorte qu’il lui aurait été difficile de s’y opposer.

À présent, ils se trouvaient sur l’autoroute, dans la voiture de Joël, et ils roulaient depuis déjà une heure.

Cela faisait un an qu’Angéla était la secrétaire de Joël, mais, avec les fréquentes allées et venues dans et hors de leurs bureaux respectifs, ils n’avaient, en fait, que rarement l’occasion d’être seuls ensemble.

Maintenant, c’était différent. Angéla se montrait aimable et prévenante. Elle ne savait que faire pour le bien-être du chauffeur assis à côté d’elle.

Ils s’arrêtèrent pour visiter, au bord de la route, la cathédrale de Chartres, que, depuis longtemps, Joël souhaitait visiter.

Il savait, en effet, que derrière l’autel se trouvait un important point tellurique. Aimablement, il attira Angéla au bon endroit pour qu’en un point précis elle ressente avec lui le courant de force issu de la Terre.

Ils restèrent là, un moment, à se laisser pénétrer par les bienfaisants effluves.

Angéla ferma les yeux avec une expression angélique. Manifestement, avec Joël, elle se trouvait bien là…

Le soir, ils se trouvèrent à manger en tête-à-tête dans le restaurant de l’hôtel où ils étaient descendus.

Angéla voulut savoir de quel signe astrologique était Joël, quel était son signe Ascendant, etc.

Joël, qui s’y connaissait un peu en astrologie, lui expliqua ce qu’il en était, puis Angéla questionna au sujet de son propre thème et Joël lui répondit aimablement.

Ensuite, Angéla voulut savoir si, par l’astrologie, l’on pouvait déterminer si, oui ou non, deux personnes étaient faites l’une pour l’autre. Joël lui répondit qu’il était possible d’observer certaines complémentarités entre les thèmes.

Le lendemain matin, il y avait une première visite d’usine. Angéla se montra comme quelqu’un de très proche de son patron.

Une fois qu’ils furent revenus dans la voiture de Joël, Angéla dit :

-         Joël, vous devez savoir que j’éprouve des sentiments pour vous.

-         Cela ne prouve pas que nous soyons faits l’un pour l’autre, répondit Joël, après un silence.

-         Mais, quand même, vous ne pouvez pas nier que nous avons beaucoup en commun, reprit Angéla.

-         C’est possible, en effet, admit Joël.

-         J’aimerais bien que nous nous tutoyions, dit alors Angéla. Cela nous permettrait de mieux nous connaître.

-         Je crois que des conditions précises sont, pour cela, requises, répondit Joël, un peu embarrassé.

-         Voulez-vous dire qu’elles ne sont pas remplies pour nous deux ? dit Angéla.

-         Je ne le ressens pas, dit Joël, en tous cas pas pour le moment.

-         Mais, quand même, j’ai des sentiments pour vous et vous en profitez, dit Angéla.

-         Je n’ai rien fait pour cela, dit Joël, après un instant d’hésitation.

La conversation s’arrêta, mais, au fil des jours et des kilomètres, plusieurs fois, Angéla reprit le sujet, à chaque fois presque dans les mêmes termes. Sa demande était toujours la même : elle ne voulait pas que Joël et elle se vouvoient. Elle trouvait cela trop distant.

Elle disait :

-         Pour faire du bon travail, un patron et sa secrétaire doivent être très proches !

Pendant deux semaines, Joël résista vaillamment, mais, au début de la troisième semaine, sous les assauts répétés, enfin, il capitula. Angéla avait obtenu ce qu’elle voulait : pouvoir tutoyer Joël et être tutoyée de lui.

Dès lors, les barrières que, d’« instinct », Joël avait maintenues entre eux, rapidement, tombèrent.

Angéla, qui aurait dû être ainsi satisfaite, se montrait, désormais, encore plus pressante. Elle suggéra et obtint que, pour leur faciliter le travail, ils logent dans des chambres communicantes.

Du coup, elle venait, sans cesse, frapper à la porte de Joël, qui, en bon Ascendant Balance, ne savait jamais dire non, bien qu’il eût préféré être tranquille soit à regarder un programme télévisé, soit à lire un bon livre dans son lit ou même dans sa baignoire…

Le troisième soir de cette nouvelle formule, elle se livra à un siège en règle, prétextant que son téléviseur était en panne et qu’elle aurait bien aimé voir un film de tout premier intérêt programmé ce soir-là. Le film s’appelait « Les amants magnifiques » et racontait une ardente histoire d’amour entre un couple que tout, terrestrement, séparait, à commencer par les conditions sociales respectives des deux amants...

Joël, qui s’apprêtait à prendre un bon bain délassant, accepta qu’elle vienne voir le film, avec lui, dans sa chambre. L’écran étant placé juste dans l’axe du lit, elle s’installa confortablement d’un côté, tandis que lui se plaçait de l’autre côté…

À un moment donné du film, lors d’une scène d’intimité entre les deux acteurs principaux, héros et héroïne du dit film, Angéla, qui s’était imperceptiblement rapprochée, posa carrément sa tête sur l’épaule de Joël, qui, interloqué, se recula progressivement, ce qui ne servit à rien, puisque Angéla s’affaissait, au fur et à mesure, toujours plus !

Joël allait carrément se dégager lorsqu’il s’aperçut qu’elle avait les yeux fermés ! Peut-être venait-elle de s’endormir ?

Alors, avec la télécommande, il baissa le son du téléviseur et, délicatement, essaya de s’extraire d’elle, sans la réveiller.

Mais, alors qu’il avait presque réussi et se penchait sur elle pour contrôler son affaissement sur le lit, elle mit ses bras autour de son cou !

Elle avait les yeux toujours fermés et Joël se demandait si elle dormait ou non, quand elle se mit à lui susurrer des mots langoureux :

-         Joël chéri, tu m’aimes, c’est pour cela que tu as accepté que l’on se tutoie ; sinon tu n’aurais jamais accepté…

Joël voulait répondre que ce n’était pas du tout le cas, mais il ne dit rien, car le piège s’était refermé sur lui. Il respirait son odeur et, dans la position où elle se trouvait, il avait une vue plongeante sur elle.

Ce qui se passa ensuite ne sera pas raconté ici, mais que le lecteur sache simplement que cela n’aurait pas dû se passer : La brèche qui avait été ouverte par le tutoiement avait permis à une intimité, qui n’avait pas lieu d’être, de s’installer, et, par cette brèche, une relation terrestre gros-matérielle avait pu se tisser, laquelle ne pouvait déboucher sur rien, si ce n’est sur des remords

Une fois qu’ils furent retournés à la vie normale dans l’entreprise, Joël dut, par la suite, pour se libérer de l’emprise, trancher violemment les liens qu’il n’avait pas voulu nouer. Il exigea auprès du grand patron de pouvoir changer de secrétaire.

Plus tard, il comprit avait résidé le point faible qui avait permis à Angéla de s’insinuer là où elle n’avait pas sa place et il devint, à cet égard, beaucoup plus vigilant. Il voulait que sa vie lui permette de se libérer de liens faux anciennement noués, et il ne voulait pas, entre temps, en contracter d’autres.

Car il avait aussi compris que, lorsqu’il n’est pas simultanément offert par les deux côtés, suite à un pur élan de l’âme, par deux êtres qui désirent profondément se lier ensemble pour la vie, pour, en une totale confiance mutuelle, entreprendre en cordée leur Ascension spirituelle, donc lorsqu’il n’est pas rigoureusement sanctifié, assurément…

 

Le Tu/Toi… ment !

 

Jacques Lamy