Promenade
dans un Zoo

 

 

Le Maître m’avait donné rendez-vous dans un zoo et, moi qui voulais être son disciple, je me demandais bien pourquoi.

J’avais des questions à lui poser, qui faisaient – je le pensais – de moi quelqu’un de particulièrement avisé.

Je voulais lui demander si le Monde que nous avions sous les yeux faisait croire ou non à la Justice de Celui Qui l’avait fait, et je pensais bien le coincer.

Je pensais aux guerres, aux épidémies, aux catastrophes en tous genres, aux famines, à l’inégalité des naissances, etc., etc. J’en avais un plein sac.

Nous arrivâmes alors devant une cage où un loup dominant rossait copieusement un plus jeune, qui, probablement, avait essayé de contester son autorité.

-         C’est révoltant ! dis-je

-         C’est la nature…, dit le Maître, apparemment distrait.

Nous passâmes ensuite devant une cage où un tigre déchiquetait un grand quartier de bœuf, que son soigneur venait de lui lancer.

-         Quelle cruauté ! dis-je.

-         C’est la nature…, dit le Maître, apparemment absorbé dans ses réflexions.

Je commençais, dare-dare, dans la foulée, ma diatribe au sujet d’un monde aussi mal fait et donc aussi cruel.

C’est alors que nous passâmes devant une cage où se trouvaient des singes. Ils étaient assez nombreux et il n’y avait là, apparemment, que des mâles. Ils s’adonnaient manifestement à des activités sexuelles.

-         C’est dégoûtant ! dis-je.

-         C’est la nature…, dit simplement le Maître, sans rien n’ajouter d’autre.

Je continuai alors à longuement parler. Le Maître m’écoutait sans m’interrompre.

Lorsque nous eûmes achevé le tour du zoo, ma démonstration étant terminée, je questionnai le Maître :

-         Alors, le Monde n’est-il pas révoltant, cruel et dégoûtant ? Ce n’est pas un peu facile de toujours dire : « C’est la Nature ! » ?

-         Maintenant, je puis préciser quelque chose, dit le Maître. À chaque fois que j’ai parlé de la nature, j’ai parlé de la nature … humaine. Car la « Nature » animale et aussi végétale se conforme toujours à la nature humaine, au vouloir et à la pensée de l’être humain. Chaque jugement que tu as porté sur ces animaux, eux innocents par nature, n’était, en réalité, qu’un jugement sur ta propre vie intérieure. Tu t’es ainsi toi-même jugé !

Le Maître me regarda de haut en bas. Son regard était neutre et froid.

Je sentis le rouge de la plus cuisante honte m’empourprer de la tête aux pieds, et je pris soudain conscience que ma famille et mes subordonnés me trouvaient dominateur, que je mangeais souvent, à mes repas, du steak rouge découpé dans des animaux élevés en batterie et déchiquetés à l’abattoir et que, pour finir, j’avais un goût manifeste et prononcé pour les hommes. Bref, j’étais homosexuel !

Je regardai, à la ronde, encore une fois, tous les animaux du zoo, et, soudain, j’eus honte aussi devant eux et leur demandai pardon de les avoir, par mon faux vouloir et mes mauvaises pensées, complètement désaxés et « faits comme ça ». Même ainsi, eux conservaient leur innocence, mais moi je portais leur apparente culpabilité en plus de la mienne…

 

 

Pourtant, sans l’influence humaine, ils étaient si beaux !:

 

 

 

Antoine Lecoq