Responsabilité

 

 

Il est frappant de constater combien tout est devenu aujourd’hui matière à comportement « responsable », à choix « responsable », à politique « responsable », et à beaucoup de cinéma « responsable » visant à faire passer l’idée que l’être humain a effectivement saisi de quoi il s’agit.

Qu’en est-il exactement ? Nous voyons des laboratoires dans l’obligation de retirer du marché des produits dangereux (donc élaborés en toute irresponsabilité), des hommes politiques obligés d’ajouter des amendements à des lois mal conçues (donc révélatrices de leur immaturité), des dérives tellement graves dans les choix scolaires ou économiques… que tout conduit, au contraire, à penser que la responsabilité est une notion complètement inconnue, en particulier de ceux qui s’en réclament. La notion de responsabilité n’inclut pas seulement l’obligation d’assumer les conséquences de ses choix et ne peut pas commencer avec les suites d’une action engagée, comme le suggère la racine latine « respondere » (seule retenue à ce jour), mais, bien évidemment, avec la mise en place même de l’action. Et cette mise en place d’une action, ce début, est imprimé(e) dans la même racine, mais en deux mots « res-pondere », « res » voulant dire « les choses » et « pondere » peser, mesurer.

Je ne sais pas si vous voyez les choses comme moi, mais je trouve que cette deuxième étymologie vient admirablement compléter la première pour former ensemble une image beaucoup plus cohérente qui démontre la nécessité de « peser les choses » avant d’entreprendre quoi que ce soit. Le fait d’avoir à en « répondre » reste incontournable dans tous les cas, mais il va de soi que l’élaboration d’un projet mûrement réfléchi amènera en substance des conséquences déjà prévisibles, qui ne pourront être vécues que comme une suite logique, donc, d’emblée, plus acceptables.

Le sujet abordé ici est naturellement trop vaste pour être traité en quelques lignes, aussi il n’en sera donné que quelques indications[1]

Disons d’abord que les enfants ne sont pas responsables au même titre que les adultes, justement parce qu’ils ne disposent pas de cette possibilité de mesurer les choses dans toute leur étendue. 

D’une manière générale, on peut dire que l’être humain est responsable de tout ce qu’il met au monde, qu’il s’agisse d’intentions, de pensées, de paroles, d’écrits, d’actes. De la même façon qu’une loupe concentrant les rayons solaires, l’être humain est capable de concentrer la force diffuse dans laquelle il baigne au moyen de sa faculté intuitive. Pour les besoins de toute l’activité qui le concerne, il invite en quelque sorte une force présumée neutre à le traverser pour la faire ensuite ressortir de lui sous la forme que lui-même a décidé de lui donner et qui portera sa touche personnelle. C’est pourquoi il peut être, plus tard, appelé à rendre compte de l’utilisation de cette force, donc à en « répondre ».

Ma responsabilité est, par exemple, entièrement engagée dans la rédaction de cet article par la notion que j’ai de ce concept, par l’orientation que je lui donne, par les exemples que je choisis, par le message que je veux faire passer, par la forme que je lui donne … etc. De votre côté, votre responsabilité de lecteur réside dans votre disposition intérieure au moment de la lecture, selon que vous l’abordez avec sérénité, méfiance, scepticisme, détachement… Cela correspond à votre « coloration » du moment, de laquelle dépendra ce que vous en percevrez, ce que vous en retiendrez, ce que vous déformerez… Ensuite, il peut y avoir une responsabilité partagée dans l’utilisation qui en sera faite selon votre degré d’adhésion ou de rejet, votre souci d’échange, de partage, d’approfondissement…

Être parent ou grand-parent, de nos jours, revient à endosser une responsabilité assez importante vis-à-vis d’un enfant tant au niveau protection, soins, santé, éveil…, qu’au niveau éducation, épanouissement, accompagnement. Il est peu connu des éducateurs que le premier stade de l’évolution de l’humanité s’étalant sur des millions d’années se condense maintenant pour l’homme actuel durant ses années d’enfance et que cet acquis sommeillant au fond d’une mémoire doive être ramené à la conscience pour faire office de première marche à partir de laquelle l’enfant doit construire ce grand escalier qui doit le conduire à sa propre réalisation. Ce n’est pas lui rendre service que de lui mettre entre les mains des jeux électroniques ou des ordinateurs dès l’âge de deux ou trois ans, parce que l’homme des cavernes n’en avait pas.

L’enfant est d’abord dépositaire d’une mémoire de sagesse liée à son enracinement à la nature avant d’être un simple objet « livrable » à la culture d’une idéologie pourvoyeuse d’une grande irresponsabilité. Entraver le cours normal des choses, c’est finalement se rendre complice d’une régression et la responsabilité en incombe aux éducateurs. L’enfant leur reprochera plus tard, sous la forme inconsciente de violences ou d’agressivité, d’avoir contribué à « pétrifier » la plus belle époque de sa vie, au lieu de l’enrichir du spectacle toujours renouvelé de la nature, de le familiariser avec ce qu’il a besoin de connaître et de découvrir pour ne pas devenir un étranger sur cette terre d’accueil. Seul celui qui a pu être un enfant en toutes circonstances durant ses années d’enfance peut aborder les étapes suivantes avec enthousiasme et sans ressentiment pour ce qui fut manqué.

 

Henri-Claude Raoul



[1] Voir aussi le Texte « Responsabilité », dans notre rubrique Enseignement.