Une histoire qui avait pourtant
bien commencé...

 

 

Roseline était une jeune fille plutôt agréable à regarder avec ses formes plutôt rondes et ses joues roses, et elle en était elle-même bien consciente.

Cela la flattait de voir les jeunes gens se retourner sur son passage et, en particulier, ce beau blond bouclé aux yeux très bleus.

à l'Institution de jeunes filles qu'elle fréquentait cela ne faisait que deux années que des garçons venaient aussi fréquenter l'établissement; la "mixité", ainsi que l'on appelait cela, était encore chose nouvelle à cette époque.

Et l'arrivée de ces quelques garçons, qui venaient là afin de pouvoir, eux aussi, poursuivre leurs études dans l'enseignement privé catholique, constituait un événement dans ce monde féminin.

La fin de l'année scolaire approchait et il n'y avait plus de cours structurés. Du temps libre était alors laissé aux élèves pour réviser leur "bac". Le Soleil était généreux en cette fin du Mois de Mai et beaucoup se trouvaient fort bien à faire leurs révisions sur les pelouses, du côté du potager, dans le grand parc de l'école.

Allongée sur une pelouse, à quelques dizaines de mètres du rucher, Roseline, profitant de l'absence de religieuses à proximité immédiate, s'était mise à l'aise, les coudes au sol et la tête dans les mains, pour profiter du Soleil, anticipant le bel été, maintenant tout proche...

Comme par hasard, Jérémie, le beau blond bouclé aux yeux très bleus, s'était retrouvé placé, pour réviser sa philo, juste en face d'elle. Il y avait aussi d'autres élèves, filles et garçons éparpillés de ci de là, sur les diverses pelouses, en une joyeuse pagaille...

étant donné que Roseline ne portait qu'un léger tee-shirt sans manches, baillant et assez échancré, elle le faisait, de par la vue plongeante, généreusement profiter de ses rondeurs...

Bien qu'il n'eût pas recherché cela au départ, Jérémie s'en était trouvé troublé. Roseline le faisait-elle à dessein, était-elle consciente de l'effet produit par ses charmes partiellement dévoilés? Il se posait la question, mais n'aurait pu trancher. Il avait plutôt l'impression que non.

Roseline, quant à elle, était censée réviser son histoire. En l'occurrence, c'était l'histoire de la "belle époque", lorsque les mœurs avaient commencé à devenir "plus libres"...

La conversation s'engagea rapidement entre eux deux.

- épicure a fait beaucoup de disciples..., dit Jérémie, faisant manifestement allusion à la confortable position de Roseline.

- Oui, dit-elle, je trouve que la "belle époque" c'est vraiment maintenant... et si l'on ne profite pas de sa jeunesse, ce n'est pas lorsque l'on sera vieux que l'on pourra en profiter.

Puis, après un moment:

- Tiens, je n'arrive pas à lire ce qui est écrit là en tout petits caractères sous cette image, dit-elle à Jérémie, en lui faisant signe d'approcher.

Il vint s'allonger à côté d'elle. L'image représentait un couple, sur une plage, à la belle époque. La femme portait un chapeau à plumes, une ombrelle et un décolleté prononcé. L'homme avait un haut-de-forme, une canne et un cigare.

Jérémie scruta les petits caractères de la légende:

- "Couple typique de la belle époque, vivant et prônant une vie libre et hédoniste", lut-il.

- C'est quoi "hédoniste"? demanda Roseline.

- Cela veut dire: "Axé sur le plaisir", répondit Jérémie, qui venait de revoir cela dans son traité de philo.

La conversation se poursuivit un bon moment, sur le mode plaisant. Lorsque le Soleil eût un peu baissé et que dix-sept heures furent arrivées, ils se levèrent pour prendre le chemin de la sortie.

Arrivés dans la rue, ils restèrent, encore un moment, à parler devant la grille d'entrée de l'institution. Roseline avait la peau fraîche, le teint clair et un éclatant sourire. Il était clair que pour elle la vie était belle et, pour Jérémie, c'était contagieux...

- Puis-je vous raccompagner? demanda Jérémie.

- J'habite par là, fit Roseline, en montrant la rue qui partait à gauche.

- Je sais, dit Jérémie, qui n'avait pas les yeux dans sa poche...

Chez les sœurs, le vouvoiement était la règle. C'était vrai dans les relations entre les sœurs, mais aussi entre "profs et sœurs", mais aussi entre sœurs ou profs et élèves, et même entre les élèves, surtout entre les sexes.

Bien sûr, hors de la présence des sœurs, la règle était régulièrement transgressée par les élèves, surtout hors de l'institution, mais pas par tous. Beaucoup conservaient l'habitude acquise comme une règle de bienséance, qui contribuait à maintenir les distances devant exister entre gens bien élevés, surtout lorsqu'ils étaient de milieux différents.

En chemin, Roseline dit à Jérémie:

- Nous sommes dehors, maintenant...

- Alors?

- Alors, tutoie-moi, c'est plus naturel!

Jérémie ne se fit pas prier davantage:

- Où habites-tu précisément? Je sais que c'est de ce côté-ci, mais je n'en sais pas plus...

- Ce n'est pas très loin, dit-elle.

De fait, deux trois rues plus loin, ils arrivèrent, dans un quartier résidentiel, devant une belle maison neuve avec un grand jardin entièrement clos avec de hautes haies de résineux, impénétrables aux regards.

- En ce moment mes parents ne sont pas là, dit-elle en tournant la clef dans la porte du portail, alors tu peux entrer...

Devant son air hésitant, elle ajouta:

- Ils sont partis en vacances tous les deux au Maroc, pour quelques semaines...

Elle entra et Jérémie la suivit. Le jardin était vert, fleuri et bien entretenu. Il y avait aussi une petite piscine sous la terrasse de la maison.

Roseline fit entrer Jérémie dans la maison. Un grand séjour avec de mœlleux canapés donnait, par de grandes baies vitrées, sur la terrasse, de laquelle l'on pouvait directement plonger dans la piscine. La maison était fort bien équipée. Le père de Roseline tenait la plus grosse quincaillerie de la ville.

- Je te fais visiter, dit-elle.

Elle lui montra le séjour, la salle à manger, la cuisine et plusieurs chambres, dont celle de ses parents.

Toutes ces chambres étaient parfaitement rangées, sans trace d'occupation récente:

- Je suis fille unique, expliqua-t-elle. J'ai aussi un frère plus âgé, mais il est présentement en stage aux états-Unis.

- Je ne te montre pas ma chambre, ajouta-t-elle encore, car il y a trop de désordre et puis une jeune fille bien élevée ne montre pas sa chambre à un garçon, n'est-ce pas?

Pour toute réponse, Jérémie se contenta de sourire.

- Veux-tu te baigner? fit-elle en désignant la piscine du regard.

Elle avait un radieux sourire.

- C'est que cela n'était pas prévu, dit Jérémie, un peu embarrassé.

- Pas de problème, dit Roseline, je te donne un short appartenant à mon frère.

Et, sans attendre plus ample réponse, elle alla dans l'une des chambres de plain-pied pour aller chercher le nécessaire. Elle sortit ce qu'il fallait et le posa sur le lit.

- Installe-toi là, dit-elle en ressortant de la chambre et en laissant la porte ouverte. L'on se retrouve... dans la piscine!

Jérémie entra dans la chambre, vit un short de bain sur le lit avec une grande serviette de bain, et se mit en tenue.

Quand il ressortit, ne voyant personne dans la salle de séjour, il se dirigea vers la piscine: Roseline était déjà dedans!

Il plongea à son tour dans la piscine. Lorsqu'il réapparut à la surface, son visage à elle était juste devant le sien à lui. Ils se regardèrent dans les yeux. Roseline se sentit chavirer. Jérémie sentit qu'elle chavirait. Il approcha encore son visage d'elle. Elle ne recula pas. Alors il mit sa bouche sur la sienne à elle et presque aussitôt il l'enlaça.

Ce qui se passa ensuite peut être décrit en peu de mots, le léger haut de Roseline ne résista pas longtemps à l'étreinte, quant au bas il glissa rapidement en bas vers le fond de la piscine. Leur étreinte eut donc lieu dans l'eau. Pour tous les deux c'était la première fois; tout s'était fait sans paroles, de façon aussi inattendue d'un côté que de l'autre. à un endroit l'eau était même un peu colorée de rouge, avant que celui-ci ne se dissipât dans le bleu. Un peu "groggy", ils se dirigèrent vers le bord de la piscine, toujours unis, puis ils s'extrayèrent lentement de l'eau, d'abord lui, puis elle en lui tendant la main...

Ils se retrouvèrent allongés sur un tendre gazon, au milieu des marguerites, abrités par des fuschias; c'est alors qu'il la vit vraiment de pied en cap; elle était vraiment charmante et, tant elle était fraîche et rose, méritait bien de s'appeler Roseline.

Son visage exprimait un mélange de joie et de timidité, de contentement et de crainte; le sien à lui exprimait la vénération.

Elle s'aperçut qu'il la regardait et se blottit contre lui; ainsi il ne la voyait pas.

Soudain, elle se mit à sangloter silencieusement:

- Pourquoi pleures-tu? demanda-t-il.

Il n'y avait pas de réponse. Elle ne le savait pas elle-même.

Ils restèrent ainsi un long moment, immobiles; le Soleil baissant, elle eut froid; lui qui lui servait de "couverture" avait froid depuis déjà un moment, mais ne disait rien, n'osant pas briser par un geste l'enchantement du moment...

Enfin, ils se décidèrent à se lever et à se rhabiller, chacun dans sa chambre.

Ils se retrouvèrent sur la terrasse.

Jérémie allait parler, mais Roseline l'en empêcha d'un geste.

Comme, quelques minutes après, il essayait de nouveau, elle s'y opposa:

- Ne dis rien... Les mots sont superflus...

Soudain, vers vingt heures, Jérémie reprit contact avec l'autre réalité:

- Je dois rentrer...

Elle le raccompagna au portail et se dressa (il était nettement plus grand qu'elle) pour l'embrasser.

Les jours suivants, c'étaient encore des révisions... Roseline se tenait un peu distante au Lycée; elle craignait que leur relation se remarque et que sa "roseur" naturelle se transforme en rougeur...

Lorsqu'ils sortaient, toutefois, ils se retrouvaient, tous les soirs, chez elle. Elle ne voulait pas aller ailleurs... Ils étaient tous les deux très tendres, mais elle ne se donnait plus à lui... Elle n'osait plus... Ce qui était arrivé avait été si soudain et si imprévu...

Jérémie n'essayait pas non plus de s'approcher davantage d'elle, c'était un garçon très attentif; il ne s'avançait jamais que s'il se sentait attendu... Du reste, le seul fait de sa présence à elle était pour lui un Bonheur quasi-parfait... Il la dévorait littéralement des yeux et cette "nourriture" suffisait à le sustenter...

Les jours du "Bac" étaient arrivés et ils avaient tous deux sagement passé leurs épreuves, puis c'était le jour des résultats affichés à l'entrée du Lycée public concurrent. Jérémie était arrivé le premier. Il avait cherché son nom à elle avant même de chercher le sien. Ayant vu les deux noms, il ressortait, ravi, de l'établissement lorsqu'il la vit arriver...

Sa mine était défaite; il crut qu'elle craignait l'échec... Aussitôt, à une quinzaine de mètres, il lui cria joyeusement:

- Tu es reçue et moi aussi! Nous sommes reçus tous les deux.

à son grand étonnement, il vit que son visage ne s'éclairait pas, ou si peu...

Elle n'alla pas voir elle-même l'affiche et reprit le chemin pour rentrer chez elle; Jérémie la suivit...

- Que se passe-t-il?

Comme elle ne répondait pas, il l'arrêta, la prit par les épaules, l'obligeant à le regarder et répéta sa question:

- Que se passe-t-il?

- Je suis enceinte!

- Nous sommes enceintes! Formidable!

Il avait réagi d'une manière entièrement spontanée et se trouva lui-même fort surpris de ce qu'il venait de dire...

- Tu trouves!?!

Elle semblait être d'un autre avis; devant son air perplexe, elle poursuivit:

- L'on voit bien que ce n'est pas toi qui le portes!

Jérémie fut douloureusement atteint; il se rembrunit instantanément. Jamais il ne l'avait vue ainsi. Cette parole lui semblait profondément injuste.

- Quel est le problème? demanda-t-il.

- Quel est le problème? répéta-t-elle. Tu es complètement inconscient ou quoi? Les hommes sont-ils tous ainsi?

Jérémie se tut.

Ils continuèrent à marcher. Arrivés au portail de la maison, elle dit:

- Mes parents rentrent demain; il faut que je fasse du rangement.

Jérémie comprit que, bien qu'il ressentît une conversation entre eux deux comme pressamment nécessaire, il n'était pas, comme tous les soirs précédents depuis plus d'un mois, invité à entrer.

Il allait réagir, mais elle avait déjà refermé la porte, sans même lui dire bonsoir.

Médusé, il prit le chemin pour rentrer chez lui.

à peine arrivé, il essaya de téléphoner, mais personne ne décrochait...

Le lendemain - la classe était terminée - il alla se promener dans la Rue des Capucines où habitait Roseline. Le portail était grand ouvert et une grosse limousine noire qui ne s'y trouvait pas jusqu'ici avait fait son apparition...

Jérémie passa son chemin...

Les jours suivants, Jérémie n'eut aucune possibilité d'accéder directement à Roseline. Alors il se décida à lui écrire.

Sa lettre disait ceci:

 

"Ma Roseline bien-aimée,

 

Il m'a été bien difficile de te reconnaître hier après-midi. Celle que j'ai vue, devant le lycée, ne ressemblait en rien à celle que j'avais bien mieux appris à connaître depuis plus d'un mois.

J'ai aussi bien du mal à croire que ce soit le fait de porter notre enfant qui puisse te mettre dans un tel état.

Je comprends, bien sûr, que cette expérience si nouvelle et si inattendue pour toi suscite, dans ton âme, un bouleversement aussi grand que dans ton corps...

Bien sûr, la Nature a prévu que les hommes ne font que déposer leur semence et que ce sont donc les femmes qui portent les enfants, mais cela ne signifie pas pour autant que, au cours de la procréation, la responsabilité de l'homme soit moins importante.

Aussi, puisque tu sembles, d'emblée, l'avoir mis en doute, avant même que nous en ayons parlé ensemble, ce qui m'a douloureusement blessé, je veux te rassurer tout de suite en te disant que je suis entièrement prêt à assumer ma responsabilité à ton égard, dans le fait de t'avoir mise enceinte, et à l'égard de l'enfant à naître, que je reconnais pleinement comme le mien, déjà dans cette lettre.

Afin que les choses soient tout de suite faites en bonne et due forme, je te propose que, dès que possible, nous allions ensemble le reconnaître à l'état-civil. De toutes façons, même sans toi, je compte y aller prochainement, car je veux assumer devant tous ce que j'ai fait avec toi.

Je t'assure de la sincérité de mon amour et je forme le vœu ardent que nous nous retrouvions au plus vite, dans tous les sens du mot,

 

Ton Jérémie.

P.S.: J'ai essayé de te joindre au téléphone, en vain."

 

Cette lettre devait rester sans réponse.

Rapidement, Jérémie sentit qu'il était piégé.

Il avait vécu l'instant avec Roseline, mais n'avait pas réfléchi plus loin aux conséquences. Ce n'est pas l'arrivée d'un enfant qu'il ressentait comme un piège, pas du tout, mais c'était la réaction tellement inattendue de Roseline.

à présent, il n'avait plus accès à elle, d'une part parce que ses parents étaient revenus et qu'il ne voulait pas la mettre dans l'embarras - ce dont elle pourrait lui en vouloir - en se présentant chez eux, mais surtout, parce que - c'était maintenant patent - elle l'évitait complètement, désormais...

à présent que la classe était terminée et le bac passé, ils n'avaient plus du tout d'occasion "naturelle" de se voir...

Une fois, il se décida encore à téléphoner. Il tomba sur une voix féminine, mais ce n'était pas celle de Roseline. Cela devait être sa mère. Il raccrocha, sans avoir parlé.

Alors, il ne trouva pas d'autre solution que de faire le guet devant la maison de la famille de Roseline. Elle finirait bien par sortir...

Il espérait, en particulier, qu'elle sortirait à l'occasion du feu d'artifice et du bal du 14 Juillet, mais elle ne sortit pas...

Trois jours durant, il la guetta en vain. Le 15 Juillet enfin, il la vit sortir, seule, à pied; évitant de se précipiter tout de suite sur elle, de crainte que, l'apercevant, elle ne rentre aussitôt dans la maison pour lui échapper, Jérémie la laissa marcher devant lui, pendant quelques centaines de mètres, puis, allongeant le pas, il l'aborda par derrière.

- Bonjour, Roseline!

Si elle fut surprise, elle ne le montra pas et continua à marcher du même pas, comme s'il n'avait pas été là, sans lui répondre ni le regarder.

- Roseline, il faut que nous nous parlions!

- Pour dire quoi?

- ét bien... pour parler de la situation, de notre bébé...

- Comment cela "notre" bébé?

- Aurais-je rêvé? Tu m'as bien dit que tu étais enceinte.

- Oui, tu as raison, je suis enceinte, et je ne vois pas bien en quoi cela te concerne.

- ...!?! Tu voudrais dire que tu pourrais l'être de quelqu'un d'autre?

Il était abasourdi. Il s'était bien rendu compte qu'elle était vierge, lorsqu'il l'avait prise.

Il la prit par le bras, doucement mais fermement, et la força à le regarder.

- Roseline, que tu veuilles stopper toute relation avec moi, c'est ton droit et je ne peux ni ne veux même m'y opposer, mais si je suis le père de l'enfant que tu portes, alors son devenir me concerne autant que toi.

Roseline baissa les yeux et ne répondit pas.

- Lâche-moi, dit-elle, tu me fais mal.

Il la lâcha et ils se remirent à marcher.

- Tu es bien sûre? dit-il.

- ça oui!

Elle sortit un petit tube à essais qu'elle avait dans la poche et lui montra le fond du tube, où l'on pouvait voir une sorte d'auréole brune sur fond jaune.

- C'est un test de grossesse, reprit-elle, il est positif. Je n'ai pas eu mes règles depuis ce jour-là.

- Tu n'as eu de relations avec personne d'autre?

Elle hésita un moment à répondre..., puis répondit:

- Non.

- Alors, qu'allons-nous faire?

- Tu fais ce que tu veux et moi aussi...

- Roseline, je ne te reconnais pas.

- Oui, tu me l'as déjà dit.

- Non, pas déjà dit... écrit! Tu as donc reçu ma lettre. Pourquoi n'as-tu pas répondu?

- Tu ne connais pas mes parents. S'ils apprenaient cela, quelle honte dans notre famille!

- ... ? Quelle honte? Tu as dit "honte"? Pourquoi donc?

- Tu sais bien que mon père est président de l'A.P.E.L.

- Non. L'APPEL? C'est quoi l'APPEL?

- Association des Parents d'Elèves de l'Enseignement Libre.

- Autrement dit: catholique!

- Oui, très catholique. Et chez les bons catholiques, une fille-mère, cela n'existe pas!

Elle avait dit cela presque en criant.

Jérémie comprit que la pression familiale était forte. Cela était d'autant plus surprenant pour lui que ce n'est pas l'impression qu'il avait eu lorsqu'il était allé chez Roseline.

Brusquement, elle s'écarta de lui et s'engouffra dans une rue latérale. Le premier réflexe de Jérémie fut de la suivre, mais il ressentit soudain que cela n'arrangerait rien, bien au contraire...

Alors, il la laissa partir...

 *   *   *   *   *   *

Comment Roseline s'était décidée, par l'intermédiaire d'une "amie" qui connaissait l'adresse d'une "entreprise" de "faiseuses d'anges" en Angleterre, à se rendre là-bas pendant une nouvelle absence de ses parents, lui demeurait, des années après, un rebutant souvenir.

Les années avaient passé, mais elle revoyait toujours, surtout la nuit, la bâtisse lugubre aux murs lépreux, le grand couloir, l'espèce de dortoir où elles attendaient, allongées, séparées par de minces rideaux, chacune leur tour...

Un autre rideau s'était ouvert devant elle et des mains crochues l'avaient happée... elle avait sombré dans l'inconscience... Lorsqu'elle s'était réveillée dans sa misérable chambre, la nouvelle vie qu'elle portait déjà en elle l'avait définitivement quittée...

Par la suite, elle avait épousé le fils du plus haut responsable de l'enseignement catholique de sa région, un mariage honorable. S'était-il aperçu qu'elle n'était plus vierge, elle ne pouvait catégoriquement l'affirmer, mais, tout comme lui, elle s'était bien gardée d'en parler. Et de ce qu'elle avait vécu en Angleterre, encore bien moins...

Ce secret pesait quelque peu sur sa conscience, mais elle refoulait les pensées voulant se transformer en remords à ce sujet...

En tant que la digne épouse de son mari, vu le milieu bien-pensant qu'ils fréquentaient tous deux, elle s'adonnait, de temps à autre, à des "œuvres de charité" qui donnaient lieu à des réceptions, au cours desquelles les dames de la bonne société buvaient le thé et mangeaient des petits gâteaux en devisant sentencieusement.

Parfois, le thé était agrémenté d'une causerie sur un pieux sujet. Ce jour-là, une dame, une vieille fille, était venue rappeler la position de l'église au sujet de l'"interruption volontaire de grossesse", que les "pros" de la chose avaient pris l'habitude de discrètement et "pudiquement" désigner par un sigle.

Après avoir elle-même parlé sur le sujet pendant un petit moment, les dames présentes - il y avait aussi quelques hommes, pour la plupart les maris de quelques-unes - réagirent aux propos tenus. Une rousse s'indignait beaucoup à ce sujet...

La vieille dame annonça alors la présence d'une femme ayant vécu une pénible expérience.

Lorsque celle-ci arriva, tous virent une femme d'une quarantaine d'années au mince visage et au regard effarouché. Elle s'appelait Laëtitia.

C'était une repentie, qui, devant la distinguée assemblée de dames patronnesses, tint ce discours:

- Lorsque j'étais jeune fille, je n'avais que dix-huit ans, après une soirée trop arrosée je tombai enceinte, sans l'avoir désiré, des œuvres d'un jeune homme trop entreprenant et en fus catastrophée. La maternité m'effrayait à mon âge et je ne me voyais pas du tout alors en train de pouponner.

Je recherchai désespérément une solution, essayai divers "remèdes", en particulier du côté des "herbes du diable", rien n'y fit, j'étais bel et bien enceinte. Une "amie" qui était déjà passée par là, devinant mon état, me fit part de la solution qu'elle avait trouvée et qui l'avait conduite dans une clinique suisse. La mort dans l'âme, je me décidai à prendre contact.

Le "médecin" auquel j'eus affaire était un homme froid et cynique. Il n'eut aucun égard pour mes états d'âme; il ne voyait la chose que sous son aspect commercial. Je repartis de la clinique "débarrassée" mais intérieurement au plus mal.

Pendant les années qui suivirent je demeurais oppressée par un lourd fardeau. Il me semblait que les bras du petit enfant que j'avais ainsi moi-même assassiné étaient accrochés à mon cou et me serraient à m'étouffer. La nuit, je plongeais dans de longues crises de larmes et me réveillais exténuée le matin, sans aucun goût à commencer une nouvelle journée.

Lorsque j'eus vingt-cinq ans, je rencontrai l'homme qui allait devenir mon mari. Je n'avais aucune confiance en moi ni en la vie qui pouvait s'offrir à nous, et la plus grande honte de ma vie fut de lui raconter, les joues couvertes de larmes brûlantes et amères, ce que j'avais fait sept ans plus tôt...

Il essuya avec douceur les larmes de mes yeux et m'assura que cela ne changeait rien à l'amour qu'il avait pour moi. Je le regardai, incrédule, parce que, après ce dur aveu, j'étais persuadée qu'il allait me rejeter avec colère et mépris. Non seulement il n'en fit rien, mais il me serra dans ses bras avec une immense douceur. Je ne comprenais pas, car je ne pouvais discerner ce qui, après un tel crime, était, en moi, encore "aimable".

C'est ainsi que je rencontrai l'Amour rédempteur.

Par la suite, nous avons eu, à intervalles rapprochés, cinq enfants ensemble, qui sont tous beaux et bien portants, et, bien sûr, ils me réjouissent, mais, encore maintenant, je repense souvent à celui que j'ai moi-même tué à l'intérieur même de mon ventre.

Et si j'ai accepté de témoigner, c'est parce que je veux expier jusqu'à la dernière trace de ma faute, et sauver, pour contrebalancer celui que j'ai fait mourir, une centaine au moins d'enfants à naître..."

Les larmes roulaient encore sur les joues de Laëtitia à l'évocation de ce terrible souvenir. L'assistance était, pour l'essentiel, profondément émue.

Cependant une femme, visiblement contrariée par la tournure que prenaient les événements, à voix basse, dit à sa voisine:

- Beaucoup de tintouin pour un petit paquet de cellules...

Roseline, précisément la voisine de la dame en question, quant à elle, avait écouté, mal à l'aise, le témoignage de Laëtitia et s'efforçait de dissimuler son trouble.

Gertrude, la dame aux cheveux gris qui avait introduit Laëtitia, ayant entendu le chuchotement de la voisine de Roseline, dit, à voix haute, à l'adresse de la rousse:

- Qu'avez-vous dit, Madame?

Celle-ci répondit alors:

- Je ne comprends pas qu'on laisse pénétrer dans une société comme la nôtre des gens de cette espèce!

Des mouvements divers de l'assistance suivirent alors cette déclaration.

Mais ce n'était pas encore fini: Gertrude avait encore quelqu'un à présenter à la nombreuse assistance. Cette fois, il s'agissait d'un homme. Il était grand et blond, les cheveux bouclés et était l'un des principaux responsables de l'association "Droit à la Naissance", alors en tournée de conférences à travers le pays. Il avait attentivement suivi, sans mot dire, tous les propos jusqu'ici tenus.

Roseline se sentit mal à l'aise en regardant le blond étranger.

Le responsable de "Droit à la Naissance", à l'invitation de Gertrude, prit à son tour la parole et à l'assemblée tint ce discours:

- Prenons le cas d'une jeune fille s'étant trouvée, "sans l'avoir désiré{e}", dans la situation de devenir mère. Et qui, ainsi que, hélas, cela arrive très souvent, s'est soumise à un avortement volontaire. Beaucoup seront rassurés à son sujet, y compris, bien souvent, elle-même, lorsque, dans des cas particulièrement favorables, tout se sera apparemment passé, pour elle, sans dommage corporel. Pourtant, je vous le dis, cela n'en est pas, pour autant, pour elle - et de loin s'en faut! -, simultanément expié.

«  Car la Justice Divine enregistre tout précisément, sans se laisser influencer.

«  Je peux, aujourd'hui, clairement vous affirmer, à partir de ma propre expérience-vécue, que, à partir de l'instant où cela s'est produit, un petit corps de la matière existant dans l'Au-delà correspondant à l'enfant en devenir s'est agrippé au cou du corps de matière fine de la mère dénaturée, pour ne pas le quitter jusqu'à ce que celle-ci ait racheté son acte.

«  Cela, aussi longtemps qu'elle vit dans son corps physique sur la Terre, la jeune femme en question ne le remarque, naturellement, pas. Elle a, tout au plus, comme répercussion, de temps à autre, une très légère sensation d'étranglement, parce que le petit corps de la fine matière de l'Au-delà de l'enfant, en comparaison avec le corps gros-matériel de la Terre, est léger comme une plume.

Il regarda alors attentivement l'assistance et reprit:

- Aujourd'hui, la plupart des jeunes filles et des femmes s'étant soumises à un avortement afin de se débarrasser de ce qui, à leurs yeux terrestres, représente un encombrant fardeau pour leur vie sur Terre sont beaucoup trop engourdies pour ressentir ce petit fardeau, mais la réalité d'un tel fardeau ne fait pourtant aucun doute, parce que moi, ce corps d'enfant accroché aux cous des mères infanticides, je le vois de mes yeux!

L'on put alors nettement sentir un frisson passer à travers l'assistance! Plusieurs retirèrent l'écharpe qu'elles portaient autour de leur cou.

- Il fait chaud ici! dit la rousse.

- Si vous croyez que je mens, reprit l'homme blond, alors mettez-moi au défi, parce que, toutes bien pensantes que vous êtes, je puis vous dire que deux d'entre vous, parmi celles que je vois, portent un tel corps d'enfant autour de leur cou...

L'inconnu - la dame qui animait la réunion n'avait, en effet, pas donné son nom - laissa planer un long et lourd silence sur la salle, tandis que ses yeux se posait sur chacun et surtout sur chacune.

Puis il ajouta:

- Je peux même vous dire - et je vois là un incontestable effet de la Loi de l'Attraction du Genre Semblable - que ces deux-là sont assises côte à côte...

Les deux en question non seulement ne pouvaient plus douter de la réalité de la voyance de l'étranger, mais, non plus, du fait qu'elles étaient, par lui, repérées entre toutes. Il n'avait qu'un mot à dire, ou même qu'un geste à faire, ou même qu'à les regarder fixement, pour que tout le monde sache qu'il s'agissait d'elles et que le scandale éclate...

Mais l'étrange homme au regard bleu ne les dénonça pas, mais, après son long silence, reprit son explication et poursuivit tranquillement:

- Cet état d'insensibilité des femmes plus ou moins étouffées, voire étranglées, par d'invisibles corps d'enfants - il peut même y en avoir plusieurs! - accrochés à leur cou ne constitue, cependant, absolument pas un progrès de la part de ces femmes se croyant progressistes, ni, non plus, le signe d'une robuste santé de leurs corps, mais cela signifie une indubitable régression, c'est le signe infaillible du profond enlisement de leurs âmes.

«  Mais lorsqu'elles mourront, la pesanteur et la densité du petit corps d'enfant adhérant à leur cou deviendront de même genre que leur propre corps de l'Au-delà, lequel est constitué d'une matière notablement plus fine que celle du corps terrestre que nous voyons. à ce moment-, hors du corps terrestre, elles le ressentiront alors comme une véritable charge. Il causera, à leur corps fin-matériel de l'Au-delà, aussitôt, le même désagrément que cause sur Terre un corps d'enfant de matière grossière qui s'agrippe à votre cou. Cela peut, alors, dans certains cas particulièrement lourds, aller jusqu'à la torture que procure un véritable étouffement. Une telle mère est contrainte, dans l'Au-delà, de traîner avec elle, partout où elle va, ce corps d'enfant. Le léger "fardeau" refusé sur la Terre est devenu un lourd fardeau, impossible à refuser, dans l'autre Monde. Une terrible malédiction! [1]

L'homme blond, âgé d'une quarantaine d'années, s'apprêtait-il à donner d'autres explications? On ne le sut pas tout de suite, car, soudain, un énorme sanglot se fit entendre, interrompant l'orateur, et l'assistance, médusée, put assister à cet incroyable spectacle de voir, en larmes, la femme du directeur diocésain de l'Enseignement catholique péniblement se lever de son fauteuil, et, en titubant, se diriger, les bras tendus, jusqu'au conférencier, debout sur une estrade, et littéralement s'affaler à ses pieds, en proie aux plus vifs sanglots:

- Jérémie! Jérémie!, hoqueta-t-elle, pardon! pardon! pardonne-moi!

Jérémie se pencha vers elle et la releva avec douceur, l'asseyant sur un siège demeuré vide à côté de lui, où elle demeura sagement, les yeux fermés et désormais silencieuse, tandis que de grosses et brûlantes larmes roulaient abondamment sur ses joues.

Jérémie termina alors tranquillement son exposé:

- La jeune femme ayant ainsi péché et se retrouvant dans l'Au-delà après sa mort ne sera pas libre du corps d'enfant accroché à son cou jusqu'à ce que, chez elle, l'amour maternel, pour cet enfant, s'éveille enfin et que, au prix de sa propre commodité, soignant fidèlement le corps d'enfant accroché à elle, elle cherche, péniblement, à lui offrir tous les soulagements et soins nécessaires. Jusque là, cependant, ce sera, bien souvent, un bien long chemin et couvert d'épines! Mais sa rédemption sera à ce prix. [1]

«  Quant à l'enfant lui-même, souvent, après lui avoir déjà pardonné, il s'ébattra dans des régions plus légères et plus gaies.

«  Un jour, en fonction de la Justice Divine, sur Terre ou dans l'Au-delà, leurs chemins se croiseront de nouveau, en vue d'un règlement définitif des comptes...

Jérémie - car c'était bien lui, vingt ans après - s'arrêta. De nombreux visages étaient baignés de larmes. Lui-même semblait aussi fort ému.

L'on entendit soudain une porte claquer fortement; tous les visages se tournèrent dans la direction: la rousse venait de sortir par le fond de la salle...

Sous les tonnerres d'applaudissement, Jérémie se dirigea lui-même vers la porte du devant, opposée à l'autre. Roseline se leva à son tour et le suivit...

Et Gertrude, en proie à une grande perplexité, dit:

- Décidément, les Voies du Seigneur sont vraiment impénétrables...

Alors, une jeune femme blonde – c’était la sœur de Jérémie - du premier rang lui répondit:

- Les Voies de Dieu sont merveilleuses, car tellement grand est Son Amour qu’Il a créé des Lois qui permettent aux êtres humains d’eux-mêmes se juger et se racheter...

 

Jacques LAMY



[1] Voir, sur ce Site, la description d'un Processus spirituel identique (avec la même Activité des Lois), mais dans le cadre d'un suicide, dans le récit « Le grand plongeon ».

 


Morale de l’histoire :

L’avortement, tellement banalisé aujourd’hui, est donc, considéré à la Lumière des Lois de la Vie, un crime contre le Commandement « Tu ne dois pas tuer ! », un crime qui noue un lourd karma – pas seulement pour la mère, mais aussi pour tous ceux qui la poussent dans cette direction, le père de l’enfant à naître, l’entourage familial et « amical », les médecins, les responsables sociaux, etc. - et exige le rachat pour en devenir libre.

Le Créateur de Tout ce qui existe a, heureusement, créé aussi des Lois qui permettent aux êtres humains, quelle que soit leur faute, de la reconnaître, de la racheter soit par expiation soit par rachat symbolique, et donc d’en devenir libre. C’est sur Terre qu’il est le plus facile de racheter une telle faute ; c’est pourquoi celles qui l’ont commise et ceux qui y ont participé ne devraient pas attendre d’être dans l’Au-delà pour s’en préoccuper…, car là un rachat d’une faute accomplie sur Terre est beaucoup plus difficile, voire même impossible, et un retour s’avèrera nécessaire, parfois même rien que pour cela…

Pour redonner espoir à celles qui veulent se racheter, qu’elles sachent donc que c'est sur Terre qu'il est encore le plus facile de prendre conscience de l'horreur d’un tel acte et d’en demander pardon. Le rachat pourra, par exemple, constituer à militer au sein d’associations d’aide aux jeunes filles/femmes enceintes en situation de détresse, à adopter un enfant abandonné par sa mère, ou en d’autres circonstances similaires.

Dans cette optique, que soient, par exemple, ici mentionnés les liens suivants, sur le Site de L'École de Vie :

         Réflexions sur l'avortement      (s'il est encore temps...)

         Aide à autrui      (si le mal est déjà fait...)