Léopold ENGEL
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MALLONA
La Planète explosée


LA DÉCOUVERTE TERRESTRE DE L'ANNEAU

La voyante nous communique sa vision. Elle voit un pays étranger qu'elle reconnaît pour être l'Egypte, grâce aux pyramides qui y sont construites. On creuse les fondations d'un temple. Les ouvriers piochent un sol dur et découvrent un bloc géant qui semble être constitué d'argile brûlée. On casse péniblement le matériau résistant et on le retire par morceaux. Les restes d'un homme à la silhouette puissante apparaissent, couchés à l'intérieur de l'argile dure et brûlée. Des prêtres viennent considérer l'étrange trouvaille. Le bloc est examiné sous leur direction. Le squelette est libéré de sa gangue résistante. Il porte à la main droite les restes d'un anneau de métal auquel tient encore une pierre gravée.

Ce signe inconnu demeura pendant de longues années un objet sacré du temple. Les Romains emportèrent ensuite la pierre en Italie et, lors des grandes invasions, elle fut volée et enterrée. Au bout de longues années, un homme la trouva. Il la fit monter sur un anneau et l'offrit à sa famille en tant qu'objet rare.

C'est cette bague qui nous parle de l'histoire passée de Mallona, la planète disparue, dont personne ne supposait jusqu'alors l'existence.

Son histoire est-elle vraie? Plus d'un sera tenté de se le demander. Ce qui importe, c'est que la découverte de Mallona cache un avertissement. Un avertissement que chacun peut comprendre s'il entendit parler de la chute originelle, et s'il poursuit du regard objectif de l'esprit l'évolution de l'humanité contemporaine...

DE LA TERRE AU COSMOS

Nombreux sont les habitants de la Terre qui, en considérant le ciel nocturne, éprouvent le désir de traverser l'espace infini et de s'élancer à travers ces mondes lumineux et lointains, qui embellissent le firmament de leur brillante splendeur. De voyager dans le système solaire, à travers ses planètes, pour savoir si sur ces mondes vivent des êtres semblables à ceux de notre Terre, et s'ils sont également soumis aux lois de la vie végétative et intellectuelle qui régissent les hommes sur la Terre.

Mille questions nouvelles viennent à l'esprit de celui qui cherche à répondre à cette interrogation essentielle à laquelle, dans cette existence terrestre qui nous rive physiquement à notre planète, aucune réponse définitive n'a jamais pu être donnée.

L'Homme réussira-t-il jamais à découvrir les moyens qui lui permettront de se mouvoir physiquement dans l'espace cosmique? Autant que la technique puisse se développer, il semble que la sphère terrestre opposera à ce désir de s'arracher à elle en un vol audacieux et à l'aide de moyens matériels, des obstacles invincibles.

Mais il en est tout autrement de l'esprit humain. Lui ne procède pas de la matière, il ne trouve pas en elle son origine. Elle ne peut donc l'enchaîner, ni lui enjoindre: "Je t'ordonne de rester en deçà des frontières de mon royaume !"

Un enfant de Dieu, formé de l'essence de l'Univers, peut traverser cet univers, la patrie éternelle dont il procède et, s'il s'est affranchi de sa gangue matérielle, se voir révéler tous ses secrets.

Au plus profond de l'être nous sommes ESPRIT(*), enfants de Dieu depuis notre création. Nous voyons dans notre Moi spirituel le reflet de l'Esprit éternel du Créateur des mondes, devant les oeuvres duquel nous frémissions de respect, sans pour autant trembler de crainte devant Sa Toute Puissance. Car, plus nous reconnaissons combien tout ce qui émane de Sa Volonté est parfait, plus nous nous consumons d'amour pour Lui. Nous éprouvons intuitivement que Sa Nature ne nous est jamais hostile si nous ne nous opposons pas follement à elle; que tout est pour nous amical, utile, salutaire lorsque l'homme reconnaît la profonde vérité des lois fondamentales de la Vie. Le Créateur et sa créature ne sont pas des êtres séparés, mais ils doivent demeurer en une communion qui mûrit les fruits les plus riches en un constant accomplissement.

(*)NDT: A ne pas confondre avec l'intellect, dont les facultés, purement cérébrales, sont souvent, et à tort, qualifiées de "spirituelles".

Mon esprit reconnaît ainsi cette intention du plan universel, et j'ai l'audace de chercher à pénétrer les secrets de ce plan, de scruter une petite partie de celui-ci. Je m'affranchis donc des liens de mon corps physique et m'élance, avec mon corps éthérique, dans l'espace éternel, abandonnant ici-bas le monde, séjour des soucis et des joies terrestres. Avec lui, je monte sans cesse plus haut dans l'espace étincelant de soleil. Au-dessus de moi, la voûte d'un bleu profond s'épaissit rapidement en un noir opaque, au fur et à mesure que je m'élève dans l'atmosphère de la Terre.

J'ai maintenant laissé celle-ci derrière moi et je vogue librement dans l'espace infini. Sous moi, je vois flotter l'imposante sphère terrestre dont le volume diminue de plus en plus, à mesure que je suis emportée vers un but inconnu. Le soleil ne réchauffe plus le calme de l'espace, mais il prodigue encore sa lumière, car je ne traverse pas l'ombre de la Terre qui, telle une longue quille, se perd dans l'infini.

Dans le silence de cet espace éternel, l'âme humaine est saisie de frissons, car elle éprouve ici intuitivement la fantastiquê puissance de l'invisible Divinité, dont la Volonté impose à toutes ces brillantes planètes de se mouvoir selon les lois que Sa Perfection a érigées. Je lui suis soumise, moi aussi, moi à qui il est permis, en tant qu'esprit humain momentanément détaché de son corps terrestre, de contempler toute cette sublimité, d'admirer les oeuvres de l'Eternel.

Mon envol m'entraîne toujours plus haut. A ma droite, un monde semble venir vers moi sous la forme d'un disque brillant qui grossit peu à peu et reflète en une lueur rougeâtre la lumière du soleil. Je sais, c'est la planète Mars qui, se trouvant à ma droite, se montre à ma vue, plus proche que ne la vit jamais l'oeil d'aucun astronome.

A présent, elle s'enfonce également sous moi, car je m'élève toujours davantage, à la rencontre d'un astre qui se trouve juste au-dessus de ma tête. Sous moi, j'aperçois encore le disque de la Terre; je puis encore reconnaître distinctement les tâches qui représentent les mers, les continents se dessinant en clair. Je reconnais l'Europe, semblable à une presqu'île de la puissante Asie. L'Afrique et l'Amérique sont aussi encore visibles au bord de la planète.

Une force qui m'est inconnue me porte toujours plus haut. Et maintenant, maintenant grossit à vue d'oeil la planète suspendue au-dessus de ma tête et vers laquelle je suis propulsée par la force qui me dirige.

Que vois-je ? Est-ce une copie de la Terre qui se présente à mes yeux ? J'ai nettement gardé le souvenir de la forme des continents terrestres et, à présent, il me semble observer une forme assez semblable, une copie de celle-ci. Est-ce une intention de la main du Créateur de cette planète qui se découvre de plus en plus à ma vue ?

Je puis à présent reconnaître deux puissants continents, semblables aux deux Amériques. A cette différence près que l'isthme de Panama est absent et que l'océan s'étend entre eux sans obstacle. Sur la gauche émergent d'autres grands continents. Je me dirige obliquement vers ceux-ci, vraisemblablement pour atteindre la face de l'astre qui m'est encore cachée. Je constate alors que ce continent ressemble quelque peu aux continents asiatique et européen réunis.

La force qui me pousse me conduit du côté encore invisible de la planète, côté qui, étant à l'opposé du soleil, repose donc dans l'obscurité. Me rapprochant toujours plus de la surface, la courbure gigantesque de la planète occupe à présent l'horizon presque entier. Je vais seulement pouvoir apercevoir ce qu'il y a à sa surface, car l'éloignement est encore trop grand pour que mes yeux puissent le discerner.

Vers quelle planète suis-je en train de m'élancer ainsi ? Après l'orbite de Mars, que j'ai croisé, vient normalement la zone des astéroïdes puis, après celle-ci, l'orbite de Jupiter. Mais ce n'est pas Jupiter, je devrais apercevoir ses lunes, alors que la planète que j'observe ne me semble pas posséder de satellites, comme la Terre.

Serait-ce une des plus grandes astéroïdes qui parcourent cet espace cosmique en grand nombre sur cette orbite où, pendant des années, nos astronomes ont cherché une planète sans jamais la trouver, jusqu'à ce que la puissance des télescopes permit de découvrir d'une façon certaine quelques petits corps cosmiques ? Mais sa masse me semble trop importante, et mon oeil ne découvre dans l'espace aucun des nombreux compagnons de voyage qui partagent son orbite.

Qui es-tu, monde inconnu, vers lequel je me hâte ? Qui es si proche de moi que je puis à présent distinguer les nuances colorées de tes forêts, de tes plaines, des mers et des fleuves ? Dévoile-moi ton origine, ton nom !

Une réponse intérieure fait tressaillir mon âme : "Tu vois, ayant retrouvé sa forme première, ce monde autrefois grand et beau, dont les vestiges errent à présent à travers l'espace sous forme d'astéroïdes. La planète d'autrefois est dans toute sa beauté sous tes yeux étonnés, car tu dois témoigner pour elle, et révéler ce qu'aucun oeil humain ne vit jamais avant toi. Il te faut regarder ce qui est advenu d'elle il y a des millions d'années, et porter témoignage du grand Esprit universel qui laissa s'accomplir ce qu'il ne voulut pas empêcher, par amour du grand but qu'il s'agit d'atteindre."

M'approchant toujours davantage, une profonde obscurité m'entoure, une nuit noire et opaque. Je suis à présent plongée dans l'ombre de la planète et, avec une grande rapidité, je vole à présent au devant du but de mon voyage.

Traversant au passages les nuages, je respire un air vif, semblable à celui des sommets alpestres. De sombres pics se dressent vers moi, menaçants comme s'ils voulaient s'opposer à ce que je mette pied sur le pays et que j'en trahisse le secret.

Rien, pourtant, ne peut m'en empêcher. Au-dessus des montagnes, des abîmes, des volcans fumants et crachant le feu, mon vol s'apaise : le bruit des vagues se brisant contre les rochers frappe mes oreilles, de vertes prairies s'étendent sur des monts doucement vallonnés, faiblement éclairés par la lueur d'un admirable ciel étoilé et de la toute première lueur de l'aube.

A cette altitude, entourée de brûmes mouvantes qui me voilent encore la vue du pays s'étendant à l'horizon, se termine mon extraordinaire voyage de la Terre à cette lointaine planète. Je me trouve sur le territoire de MALLONA, le premier monde détruit de notre système solaire.


L'ORIGINE DE L'ANNEAU

Lentement l'est rougit. Le soleil s'élève majestueusement au dessus de l'horizon et dissipe les brumes mouvantes, qui cachent au regard des vallées profondes, les couvrant de leurs voiles jusqu'au sommet des montagnes. Le panorama devient plus lumineux. Peu à peu le paysage qui entoure le sommet le plus haut se découvre. C'est sur son versant exposé vers la mer que prend fin mon audacieux envol.

La montagne, du sommet de laquelle je regarde, est plantée jusque sur ses hauteurs d'arbres et de buissons, tels qu'il en existe aussi sur notre terre. C'est le dernier sommet d'une chaîne de montagnes imposantes et harmonieuses. A celui-ci fait suite un décor montagneux sauvage et déchiqueté, modelé par des puissances volcaniques encore en activité et dont le profil est sûrement toujours en cours de transformation. A perte de vue, la mer est ici bordée de hauts rochers qui opposent à ses flots une barrière infranchissable. Heureusement. Car, spectacle étonnant, non loin de cette protection naturelle, le sol s'abaisse petit à petit et forme une dépression beaucoup plus basse que la mer. Malheur aux terres situées dans cette dépression, si jamais la puissante muraille de rochers venait à être rompue : les flots s'y déverseraient avec une force irrésistible et recouvriraient tout.

A l'horizon je vois s'élever des fumées, de temps en temps des flammes jaillissent, suivies d'un faible grondement souterrain. Des forces volcaniques doivent y être en action et lutter avec la mer, qui en cet endroit creuse une profonde baie. Les flots ne sont séparés là aussi du foyer de ces éruptions que par cette haute muraille de rochers qui se prolonge jusque là.

Je formais le voeu de voir ce lieu de plus près. Et voilà que, léger comme un duvet, mon corps s'élève dans les airs et atteint l'objet de mon voeu. Maintenant je connais la force qui m'a permis de quitter la Terre : c'est ma volonté, plus forte que la résistance de la matière.

Quel spectacle terrifiant que les forces de la nature lorsqu'elles sont sauvageusement déchaînées ! On ne voit rien de semblable sur Terre. Maintenant je comprends que je foule un autre monde, un monde étranger. C'est ici un véritable gouffre d'enfer. Prenez tous les volcans de notre terre, entassez-les tous ensemble en un endroit et vous aurez une image du paysage qui s'étend devant moi. Ce n'est pas un gouffre unique, d'où se déversent des laves en fusion, des flammes et des fumées asphyxiantes. Non ! Aussi loin que le regard peut atteindre, s'aligne, cratère après cratère, une forge animée par de puissantes forces. C'est ici le véritable royaume de Vulcain. Il en est le maître tout puissant. Mais leur ennemi, le dieu Neptune, le seigneur de toutes les eaux, s'en approche menaçant. Toute cette région, si terriblement déchiquetée par les éruptions volcaniques, côtoie cette singulière dépression géologique, telle que nous en connaissons aussi sur Terre. S'il n'y avait cette énorme muraille de rocher qui retient la mer, celle-ci se précipiterait avec une force irrésistible dans ces gouffres de feu. Malheur alors à ce pays ! On peut à peine imaginer quelle terrible catastrophe s'abattrait sur lui.

Je plane le long des crêtes de rochers dans ce pays de la peur, dont les cratères crachent sans arrêt des flammes et des bombes de feu qui éclatent souvent dans les airs avec un bruit assourdissant. Parcourant l'espace à une vitesse folle, j'atteins maintenant l'extrémité de ce paysage terrifiant. De hautes montagnes tombent à pic dans la mer, des rochers dénudés se dressent tout droit le long de la côte et offrent un séjour inhospitalier aux naufragés, qui peuvent sauver leur vie en abordant ces lieux. Un contrefort s'avance loin dans la mer, formant sur son flanc une baie accueillante semblable à une aimable oasis dans un désert. Un riant paysage s'offre à mes regards dans cette baie.

Ici s'épanouissent des fleurs, des buissons, des arbres magnifiques, un petit paradis se découvre au regard étonné. il est entièrement enfermé à l'intérieur de monts hauts et abrupts, dont il est apparemment impossible de descendre pour gagner la côte. Ouverte vers la mer, la baie paradisiaque est protégée par une ceinture de rochers, brisant la force des vagues : c'est un port naturel, où la surface calme de l'eau reflète les monts s'élevant jusqu'aux cieux. Ici la nature généreuse a créé un lieu de paix, à l'abri des toutes puissantes forces du feu, que l'on entend de temps à autre tonner sourdement derrière les montagnes. A l'abri également des forces de l'eau, à laquelle il est impossible d'envahir la plage de sa puissance destructrice en franchissant le banc de rochers.

Dans le large demi-cercle que forme cette baie protégée de la tempête s'est développée une végétation luxuriante. Des arbres fruitiers lourdement chargés s'élèvent tout autour et invitent aux plaisirs de savourer leurs fruits. Une source jaillit du roc et clapote en se jetant à la mer. Au milieu de ce vaste demi-cercle des masses de rochers, qui se sont sans doute effondrés jadis lors de tremblements de terre, ont formé une sorte de plateau, si bien qu'il est possible d'accéder jusqu'au tiers de la hauteur de l'abrupte montagne. Là aussi l'érosion des rochers a formé un coin fertile où tout pousse et s'épanouit en de chatoyantes couleurs. Ce coin de terre apparemment abandonné du monde offre en abondance tout ce que peut donner une nature généreuse.

Entre temps le jour s'est levé, le soleil déverse la chaleur de ses rayons sur ce petit paradis. Il fait bon vivre ici, la paix y règne. Y a-t-il des êtres vivants ? Il ne me semble pas. Pourtant quelque chose ne bouge-t-il pas sur le plateau ?

Tout à droite, là-bas, j'aperçois un jeune homme ! A peine vêtu de peaux de bêtes, il ressemble à un de ces jeunes Germains, tels qu'il y en eut jadis dans les forêts d'Allemagne. Des éboulis de rochers ont en cet endroit formé sur le plateau une caverne entourée de lianes luxuriantes, d'une grande beauté. On croirait voir un palais de rochers construit par des gnomes, dont l'entrée, magnifiquement ornée de fleurs féériques, est due à la magie de ses constructeurs. Des parfums embaument l'air, des fleurs aux couleurs scintillantes s'épanouissent alentour et devant l'entrée de la grotte, dans laquelle le jeune homme a maintenant disparu. Une vue magnifique sur la mer et la baie s'offre depuis cette grotte. C'est vraiment un lieu enthousiasmant pour tout ami de la nature.

Quelque chose semble maintenant bouger à l'intérieur de la caverne. Appuyée sur le jeune homme, une silhouette vénérable s'avance lentement. C'est un vieillard chenu, à la barbe et aux cheveux bouclés. Et quel regard ! C'est le regard d'un homme qui, affranchi des misères de l'existence, est capable de sonder les profondeurs de la création, ne vivant plus que de la connaissance de son Dieu. C'est ainsi que durent apparaître les puissants prophètes d'Israël, avançant, libérés de toute crainte, prédicateurs hardis de la Parole et de la Volonté de Jéhova.

Une simple toile rude enveloppant toute la silhouette et retenue aux hanches par une ceinture de cuir couvre le corps musculeux du vieil homme. Celui-ci n'est pas du tout un vieillard affaibli, aussi ne fait-il que s'appuyer avec amour au bras de son compagnon. Tous deux avancent lentement. Le plus jeune reste à présent avec déférence en arrière, tandis que le vieillard fait encore quelques pas. Ses lèvres se mettent alors à bouger en une muette prière. Pareil à une statue il reste immobile. Le plus jeune s'est agenouillé, inclinant la tête, les bras croisés sur la poitrine.

L'étrangeté du lieu, le léger murmure de la mer, qui seul trouble le silence, avec le lointain grondement des éruptions volcaniques ; les sihouettes immobiles des deux seuls habitants de cette caverne rocheuse, baignée par la lumière chaude et claire du soleil s'élevant lentement dans le ciel ; ces deux êtres priant leur dieu dans un profond recueillement; tout ce tableau fait sur mon âme une puissante impression ! Il me laisse présager que de grandes choses vont se dévoiler.

Le vieil homme incline la tête très bas vers le sol. Ses bras tendus se croisent sur sa poitrine. Il murmure des paroles à voix basse et paraît répondre à une présence, que je ne puis percevoir. Cette conversation avec un être invisible dure un long moment. Le vieil homme se redresse à présent, son regard cherche son jeune compagnon et celui-ci se précipite vers lui.

- Muraval, prononcent ses lèvres, le Père Tout Puissant m'a donné des explications sur le sort réservé à Mallona si un esprit meilleur ne vient pas inspirer le coeur de ceux qui se disent les maîtres du monde. Serais-tu prêt à obéir aux ordres que m'a donnés le Père Tout Puissant ?

- Père, je ferai tout ce qui tu me dis, car je sais que tu ne me demandes rien qui ne soit la Volonté du Père !

- Viens ! assieds-toi près de moi, dit le vieillard en se tournant vers une roche plate, une sorte de banc naturel à l'entrée de la caverne.

Il est merveilleux que je comprenne le langage de ces hommes, bien qu'ils parlent un idiome qui m'est tout à fait étranger. Il est bien vrai que l'esprit est libre et indépendant de la forme des mots. Seul le concept contenu en eux lui est communiqué et il comprend le sens évoqué par les mots, quel que soit le langage dans lequel ils sont articulés. Je comprends maintenant l'expression qui affirme que la parole est vivante. Le nom est seulement un concept enfermé dans une forme constituée par des lettres et des sons. Il est indépendant de son enveloppe morte, de la même façon que je suis présentement indépendante du corps qui enveloppe mon esprit.

- Muraval, dit alors le vieillard au jeune homme, l'heure est venue de t'expliquer dans quel but le Père nous a envoyés dans cette région que j'habite avec toi depuis déjà dix-sept années révolues. Pour la dix-septième fois aujourd'hui, le soleil s'est levé au-dessus de la mer, là-bas, le long des rives rocheuses du golfe, comme si cet arc de rocs lui montrait la voie dans le ciel. Une fois par an seulement, ses rayons glissent lentement le long de cette arête, sans que le rocher ombrage la baie. Que se passera-t-il, lorsqu'approchera la dix-huitième année ?

" Muraval, tu sais bien que derrière ces montagnes habitent les hommes que nous fuyons. Ils ne savent rien de nous, mais je t'ai déjà expliqué combien leur coeur diffère du nôtre. Tu sais ce qu'est le péché, tu sais aussi que ces hommes ne servent que le péché. Autrefois j'habitais au milieu d'eux, respecté et entouré de tout le luxe qu'ils peuvent déployer. Mais ce n'était pas l'éclat extérieur que je recherchais. Je ne trouvais l'apaisement que dans la poursuite de la Vérité, de cette Vérité qui ne vit pas dans le tumulte du monde et pour laquelle le Dieu bon, notre Père, a préparé dans nos coeurs un lieu de retraite.

" Je vois la fin inévitable qui les attend, si la Vérité n'est pas une dernière fois apportée aux despotes qui habitent derrière les montagnes Si un miroir ne leur est pas tendu, dans lequel ils puissent se reconnaitre. Puissent leurs coeurs en être alors touchés et leur esprit changé.

" Muraval, mon fils, sache que le roi Areval règne maintenant sur toute la planète. Il a réussi à briser les dernières résistances que lui opposait le quatrième et dernier continent de Mallona, grâce à la puissance de son chef d'armée Arvodo. Areval règne donc maintenant sur Mallona tout entière. Un royaume, un royaume illimité est en sa possession.

" Pourtant il n'est pas heureux. L'oppression que subissent ses sujets de la part des grands du royaume en a fait des esclaves, presque des bêtes. On trouve chez les grands, à la cour du roi, un orgueil indicible, une soif de jouissances et de toutes les joies, de tous les plaisirs de l'existence. Mais chez les petits, la honte et l'avilissement les plus profonds, la faim et la misère. Seule l'armée du tyran, grâce à laquelle il conserve sa puissance, vit dans la joie et l'abondance : tout est aux mains du guerrier, c'est lui le véritable tyran, le maître de la violence, qui sert le roi pour se servir lui-même.

" Si cet état de choses pouvait se modifier, tout changerait sur notre belle planète. Au lieu d'être un lieu de malédictions, les joies les plus élevées pourraient s'épanouir sur Mallona, si les hommes n'y étaient pas devenus des êtres déchus en eux-mêmes, des dépravés.

" Le roi Areval s'est jeté dans les bras de l'esprit des ténèbres, au lieu de se donner au Père. Il est de notre devoir de faire la dernière tentative pour l'arracher à ce piège.

- Père, je t'obéirai. Indique-moi la voie et le moyen ! déclare le jeune homme après avoir attentivement écouté les paroles du vieillard et lui avoir réaffirmé avec feu sa volonté de servir le Père.

Méditatif, le prophète regarde la mer étincelante et ajoute doucement :

- Le moment n'est pas encore venu, mais pourtant il approche. Il exigera de nous beaucoup, peut-être tout ce que nous avons encore à donner. Alors ne crains pas, Muraval, car la puissance du roi n'est qu'un souffle à côté de celle du Père et nous serons à l'abri sous la protection de notre maître, le Père éternel. Viens maintenant, cueillons les fruits dont nous avons besoin pour notre repas.

Vivement le vieillard se redresse ainsi que le jeune homme. Tous deux descendent vers la plage et disparaissent rapidement entre les buissons et les arbres en fleurs.

J'ai été retenue devant la caverne comme par une force magnétique. Mais maintenant, celle-ci m'entraîne a visiter l'habitation des deux personnages et je pénètre dans la grotte. Elle est grande, spacieuse. Au fond se trouve leur couche, faite de mousse et de feuillage sec. Quelques ustensiles de ménage sont rangés tout autour, faits de l'écorce dure de gros fruits semblables aux noix de coco et aux calebasses. J'observe aussi des peaux de bêtes, servant soit de tapis, soit de rideaux devant l'une des couches - sans doute celle du vieillard - pour la protéger du vent qui pénètre dans la grotte. A leurs têtes je vois un grand récipient, orné de signes, que je ne puis déchiffrer. Je suis poussée à l'ouvrir pour en connaître le contenu.

Il contient un bijou éclatant, un diadème avec un joyau étincelant et, au fond, se trouve un anneau d'or portant une grosse pierre blanche.

C'est la même gemme ornée d'une tête sculptée qui m'a été montrée sur Terre, celle-là même que j'appuie actuellement contre mon front. Je la reconnais maintenant distinctement. C'est donc d'ici qu'elle provient, c'est ici dans ce récipient qu'elle a longuement reposé !


LA PIERRE D'ORO

De nouveau, je me sens emportée par l'extraordinaire force qui m'a permis de m'arracher à la Terre, afin de m'envoler vers ce monde étranger, pour aller à la découverte de l'histoire de l'anneau. Elle m'emporte à travers les airs, au-dessus des hautes montagnes jusque dans l'intérieur du pays. Le vol me mène à la frontière de cette région volcanique, qui m'est déjà presque familière. Quel contraste extraordinaire : la mort et une vie exubérante se côtoient ici.

Là-bas, à gauche, je vois à l'horizon lointain se déchaîner les forces volcaniques. Vient ensuite une étroite ceinture de roches arides à laquelle se rattache, sans transition, un paysage riant et épanoui ; je vois au-dessous de moi des forêts, des fleuves, des champs et des lacs, de belles vallées accueillantes, des collines aux croupes arrondies, visiblement cultivées par des mains laborieuses. Mais ces régions de culture ne sont pas le but que je me sens poussée à atteindre. C'est plutôt cette région intermédiaire, me semble-t-il, qui sépare les terres cultivées de la région volcanique.

Je remarque là-bas des hommes, des êtres semblables à nous, mais d'une taille beaucoup plus grande, qui travaillent avec zèle. Une mine m'apparaît ici. De profondes galeries sont creusées dans la roche, des centaines, non, des milliers d'ouvriers y travaillent. Mais avec quelle sévérité sont-ils surveillés, et comme i1s ont l'air opprimés ! Ce ne sont pas des hommes heureux ! Le travail leur est imposé, ce n'est pas librement qu'ils s'y sont consacrés. Impitoyablement, d'inflexibles gardiens, accompagnés de deux hommes armés, les poussent dans les galeries creusées profondément dans les rochers. De temps à autre, je vois émerger d'une galerie quelques hommes complètement épuisés portant des pierres extraordinairement blanches, de taille irrégulière. Ils jettent leurs pierres et tombent sur le sol, respirant péniblement, à demi-évanouis. Leurs compagnons les arrosent d'eau et cherchent à les faire revenir à eux. Les malheureux qui n'ont plus que la peau et les os me font une impression indiciblement misérable.

Dans les profondes galeries, ils vont si près des cratères volcaniques et de leurs vapeurs étouffantes, qu'ils n'obtiennent les pierres blanches qu'en risquant leur vie à tout instant. Tout le long de la ceinture de rochers, qui s'étend sur plusieurs lieues, je vois ces malheureux travailler avec peine.

Quelle grande valeur doivent avoir ces pierres, pour qu'un si grand nombre d'hommes soit sacrifié à les extraire ! Un tel travail doit emporter des milliers de vies. La violence, le choix entre la mort et le travail sont le seul moyen de forcer ces misérables. Impitoyablement, des hommes armés jettent à terre, à l'aide de longues piques, quiconque refuse de travailler dans les galeries. Beaucoup préfèrent cette mort rapide à la mort lente causée par les exhalaisons volcaniques.

Les barbares gardiens semblent accomplir leur travail de bourreau de diverses façons. Je vois là-bas, derrière des rochers, près d'un profond précipice, des corps inanimés aux blessures béantes. A côté, d'autres, dont les visages altérés attestent qu'ils sont morts étouffés par des vapeurs délétères. Tableau d'horreur et d'épouvante. Les hommes de cette planète sont-ils donc insensibles, sans aucune pitié au coeur ?

Il semble qu'il en soit ainsi. En tous cas, les gardiens et les nombreux hommes armés ne possèdent plus aucune trace de sentiments humains. En riant, ils précipitent les corps des malheureux dans le gouffre profond, qui sera pour eux la dernière retraite. Combien doivent déjà reposer dans les profondeurs, d'où monte le bruit sourd d'une eau tourbillonnante ? Combien de misères, de douleurs et de malédictions les flots mugissants tout au fond de l'abîme terrifiant ont-ils emporté vers la mer ?

Non loin de ce lieu de désolation se trouve un grand bâtiment. C'est là que sont transportées toutes les pierres acquises au prix du sang. Elles sont soigneusement examinées, triées selon la pureté de la couleur et amassées dans des salles solidement construites. Je suppose que ces pierres sont sur la planète Mallona ce que l'or est sur notre terre, que leur valeur sert à mesurer la valeur des objets dans cet autre monde, ou qu'elles sont considérées comme un moyen d'échange et qu'elles servent de monnaie. L'immense bâtiment construit en puissantes pierres de taille ressemble à une forteresse. Je pénètre à l'intérieur et vois partout des travailleurs occupés à tailler des pierres au milieu de machines qui me sont inconnues. Ils les découpent en morceaux carrés plus maniables ; ceux-ci sont ensuite transformés en plaques minces et ensuite empaquetés dans des caisses, qui sont chargées sur de lourdes voitures après avoir été munies de serrures et de cadenas spéciaux.

Devant l'immeuble commence une large route, très soigneusement pavée, ne présentant aucune inégalité, et qui se perd à l'horizon. Des voitures vides, conduites par deux hommes, se dirigent sur cette route vers la bâtisse, tandis que des voitures chargées en partent. Des voitures à propulsion automatique, mues par une force encore inconnue de moi. Je vois seulement un long tuyau sortir à l'arrière de la voiture, d'où s'échappe sans bruit une légère fumée. Ces voitures roulent dans un sens ou dans l'autre, doucement, sans bruit, et à une vitesse extraordinaire. Tout à coup, dans le lointain, provenant de ce lieu d'horreur qu'est la mine, un fort appel se fait entendre devant l'entrée d'une des galeries taillées dans le roc. Des gardiens et des travailleurs accourent de tous côtés et entourent un homme absolument épuisé, sortant juste de la galerie en cachant quelque chose dans ses mains. On entend des cris, des félicitations. Un remue-ménage et une grande animation s'emparent du lieu. Des voix surexcitées se font entendre de plus en plus distinctement et une file d'hommes se met en marche vers la puissante bâtisse où sont enfermés les trésors découverts.

Je m'approche de ce lieu. Un personnage autoritaire, aux yeux durs et perçants sort de l'immeuble, entouré d'autres hommes. Ce sont ses adjoints, et lui-même est le directeur du chantier. La cohorte arrive à présent devant le directeur. On pousse devant lui l'homme qui, par son cri puissant, a provoqué l'attroupement. En le dévisageant, le maître lui demande :

- Es-tu content ?

- Maître, je l'étais, lui répond l'homme interrogé, et il lui présente en s'agenouillant une pierre plate de la taille du poing, dont la surface inférieure est blanche comme neige, et l'autre de couleur marron foncé.

Surpris, le directeur porte la pierre devant ses yeux pour mieux l'observer. Il la tourne dans tous les sens et l'étonnement se marque sur ses traits. Il appelle ses adjoints et leur montre la pierre : leurs visages expriment alors également la plus grande surprise.

- Quel est ton nom ? demande le maître.

- Upal ! répond l'heureux auteur de la trouvaille.

- Upal, tu es libre, tu indiqueras au roi où et comment tu as trouvé cette magnifique pierre, la plus grande que j'aie jamais vue ni trouvée. Tu sais que la mort t'attend à coup sûr, si tu en parles à d'autres. Prépare-toi à partir !

Le directeur rentre dans le bâtiment avec sa suite, tandis que la foule des soldats et des travailleurs se divise à nouveau, rejoignant le lieu de leur épuisant travail. Upal, avec quelques préposés qui le félicitent vivement, le considérant avec des yeux envieux, gagne une autre entrée de l'immeuble. On le conduit dans une pièce où se trouve une table couverte de mets et de boissons. Là, il se repose un instant et rafraîchit ses forces épuisées avec des mets choisis, uniquement réservés aux cadres supérieurs.

Au bout d'un moment, un domestique entre et lui demande de le suivre auprès du directeur général. Il le conduit dans une salle ornée comme le sont sur Terre les palais orientaux. Des colonnades et des murs parés de pierres multicolores, décorés de rideaux bigarés supportent le plafond. Des tapis recouvrent le sol et de hautes fenêtres laissent entrer la vive lumière du soleil, qui se reflète sur les murs de pierre lumineux. Le directeur général porte une toge à la façon grecque, les épaules recouvertes d'un manteau qui tombe jusqu'au sol. De larges pantalons, se perdant dans des bottes de cuir de couleur naturelle, complètent son habillement. Ceinte autour de ses hanches, pend une large épée. Il est assis à une table sur laquelle sont éparses des écritures. Il les parcourt et en compare plusieurs.

Il dit maintenant à Upal qui pénètre dans la pièce :

- Approche et écoute les dispositions prises en faveur de l'homme qui a la chance de découvrir la pierre d'Oro. Toi, hier encore esclave du Roi, deviens désormais un citoyen libre, délivré de toutes les charges qu'ont à remplir les sujets du royaume de Mallona. Nous te donnons la somme de dix mille Tesas et tu peux demander au Roi une faveur, dès qu'il te recevra. Parle bien, lorsque tu te trouveras devant le monarque tout-puissant et que tu lui expliqueras, à lui et aux grands du royaume, comment tu as trouvé la pierre d'Oro à l'intérieur de la mine. Voici l'attestation de ta trouvaille, ta lettre de libération et l'assignation de ton bien.

Le directeur lui tend trois papiers qui ressemblent apparemment, quant à la matière dont ils sont faits, à ceux de notre Terre. Mais les signes de l'écriture sont étranges, pleins de fioritures et entrelacés. Upal remercie, l'air sombre. Il range soigneusement les documents dans son vêtement de travail en lambeaux, puis s'incline profondément et sort, tandis que le directeur se met à un autre travail.

Upal parcourt un long couloir qui le mène à un grand portail. Il sort à présent et jette un sombre regard sur ce pays qui a été pour lui pendant si longtemps un lieu de torture, de travail d'esclave le plus dur. Ses traits reflètent ses sentiments : la haine envers les oppresseurs, la joie de la liberté recouvrée, le désir d'être dédommagé des souffrances subies. Respirant profondément, il se tient maintenant sur la dernière marche de l'escalier libre, qui mène du portail à la rue et son regard suit avec mélancolie les voitures qui animent la grand-rue de leur train rapide. Puis il rassemble ses forces et se dirige vers le hall où disparaissent les voitures.

Une atmosphère affairée règne dans ce hall. C'est une salle dans laquelle les pierres bien emballées, déjà travaillées, sont chargées sur les voitures et envoyées vers un but encore inconnu de moi. Une voiture est prête à partir. L'entrée d'Upal a provoqué parmi les ouvriers une certaine agitation. Car ils savent tous qu'il est désormais un homme libre et riche, que chacun envie pour son bonheur, alors que eux tous doivent rester des esclaves, la propriété d'un roi qui n'épargne pas leur vie pour s'enrichir.

- Toi qui es heureux, lui dit un employé, surveillant le chargement des trésors sur une voiture prête à partir, tu peux rentrer avec cette voiture, veux-tu ?

- Volontiers, répond Upal, je te remercie !

- Viens, assieds-toi à côté de moi !

L'employé monte à l'avant de la voiture. Celle-ci offre une place confortable, suffisante pour deux personnes. Il prend à un homme debout à côté de lui un large insigne, que celui-ci porte suspendu par une chaîne autour du cou, et le tend à Upal qui le suspend au sien.

- Tu sais pourquoi ! lui murmure-t-il.

Upal acquiesce en silence et prend place à côté de l'employé. Celui-ci appuie sur un bouton et doucement, sans bruit, la voiture avance sur cette route où j'ai déjà vu aller et venir beaucoup de voitures semblables.


DANS LE PAYS NATAL

Toute droite, la route se perd dans un lointain et invisible horizon. Elle est enfermée à droite et à gauche par un mur puissant, élevé jusqu'à mi-hauteur d'homme. Après que la voiture ait quitté la station de départ, elle se rétrécit de façon à ne laisser passer que deux voitures l'une à côté de l'autre; un étroit exhaussement sépare la voie en deux parties : à droite pour les voitures partantes, à gauche pour celles qui reviennent. A des distances qui doivent à peu près correspondre à notre kilomètre, je vois à droite et à gauche de la route des maisons de garde. Elles sont habitées par des soldats qui observent attentivement chaque voiture, en particulier celles qui viennent de la station. Les gardiens sont armés de longues piques qui, malgré la vitesse du véhicule, atteindraient ses occupants qui ne se signaleraient pas par le pavois semblable à celui qu'Upal et l'employé portent autour du cou. En outre, des herses sont installées devant chaque maison de garde permettant de fermer rapidement la route.

Au moyen de signaux de forme particulière, suspendus à de hauts mâts, les postes de garde isolés ont la possibilité de communiquer entre eux. Si un fuyard avait la chance de passer devant une maison, ces signaux mettraient un terme à son voyage au poste de garde suivant. Les trésors sont donc conduits de cette façon en toute sécurité jusqu'à la lointaine capitale. Aucune possibilité de les emporter sans se faire remarquer, mais aussi aucune possibilité pour les innombrables ouvriers de s'enfuir sans être repérés ! Car sur les murs d'enceinte, des soldats patrouillent ! On le voit à leur visage, ils ne connaissent aucune pitié.

La voiture se dirige silencieusement vers la capitale. Le conducteur met toute son attention à sa conduite. Upal est plongé dans ses pensées et n'est pour l'instant disposé à aucune conversation. La route commence à tourner, tantôt elle monte, tantôt le véhicule doit descendre des pentes à une allure vertigineuse. Le mur à droite et à gauche devient de plus en plus haut et ne permet plus aux occupants de la voiture d'apercevoir le paysage. Le véhicule roule à présent dans une région plus habitée.

Bien que l'on ne voie dans la proximité immédiate de la route aucune habitation, quelques signes d'activité humaine commencent néanmoins à apparaître à une distance relativement peu éloignée : des champs cultivés et des maisons comme on en voit chez nous en Orient. Mais personne n'a le droit de construire à proximité de cette route d'état, aucun habitant ne peut se risquer à proximité, sans que sa vie soit mise en danger.

A l'horizon pointe une ville, but de ce long voyage. Selon notre temps terrestre, il peut avoir duré environ deux heures ; cependant la distance parcourue est au moins deux fois plus longue que celle que peut parcourir dans le même temps un train express terrien. La région est magnifique, la ville imposante. Elle est située au bord d'un large fleuve et s'étend en terrasses sur un contrefort rocheux en pente douce ; un mur solide l'entoure.

Un magnifique château-fort s'élève sur une colline au centre de la ville, c'est le château royal du puissant tyran. Tout cela ressemble à notre Terre mais revêt pourtant un caractère étrangement oriental. C'est ainsi qu'ont dû apparaître les cités antiques des Babyloniens. Peut-être est-ce une sorte de copie du vieux Babylone que je vois devant moi, où trônait un Nabuchodonosor non moins puissant, non moins redouté et honni que lui.

La voiture entre maintenant dans un hall voûté sous le mur d'enceinte de la ville et s'arrête. Des murs cyclopéens s'élèvent tout autour. Aussi loin que permet de voir le premier coup d'oeil, on se trouve dans une forteresse bien défendue, pouvant résister à n'importe quel assaut. C'est l'abri du trésor du royaume, où s'amoncellent toutes les richesses rassemblées à l'extérieur. D'innombrables hommes travaillent là, un trafic animé règne partout. Mon intérêt se porte sur l'habillement des travailleurs, semblable à la courte tunique des anciens Grecs qui nous est bien connue. Les employés supérieurs portent en plus des manteaux et leurs pieds sont protégés par des grandes bottes lacées.

Upal et le conducteur de la voiture ont maintenant pénétré à l'intérieur. Il remercie son guide et se dirige vers une porte, qui lui a été désignée. Il ouvre et pénètre dans une grande salle où sont assis de nombreux hommes, apparemment occupés à écrire. Le chef de ce bureau prend les papiers que lui tend Upal et lui demande d'attendre. Un long moment s'écoule jusqu'à son retour ; il le conduit ensuite dans une autre pièce. Upal est seul ; aucune altération de ses traits ne trahit une quelconque irritation. Il est replié sur lui-même, seul son regard de temps en temps exprime la dissimulation, mais sa volonté de fer lui permet de réfréner tout mouvement qui le trahirait.

Peu après, un domestique entre et lui demande de le suivre. Il le conduit dans un bureau où siègent plusieurs dirigeants du trésor qui le considèrent avec intérêt. Ils lui parlent de façon encourageante. Le président de ce conseil, en lui annonçant encore une fois se totale liberté, lui remet un grand nombre de papiers ; il insiste particulièrement sur le dernier document, qui permet à Upal de prélever dans les caisses du roi la grosse somme qui lui revient pour avoir trouvé la pierre d'Oro. Upal est riche maintenant, très riche. On l'avertit qu'il doit s'attendre à être appelé d'un jour à l'autre auprès du roi. Il acquiesce, confirme sa bonne volonté et prend congé.

Un domestique le reconduit à l'extérieur, en traversant un long couloir. Il se trouve à présent de nouveau devant une porte, munie d'un écriteau aux caractères qui me sont inconnus. Il ouvre. C'est une salle voûtée, séparée par un mur percé de petits guichets. Derrière chacun d'eux est assis un employé. Upal tend son billet à travers un guichet et reçoit plusieurs bourses, qu'il cache dans son habit. Il ouvre une bourse, elle est pleine de plaquettes blanches, minces et carrées, chacune portant un signe ; c'est l'or frappé de Mallona. Pour l'obtenir, il a risqué sa vie plus d'une fois.

Je ne peux m'empêcher de rire. Ces petites pierres sont donc leur argent, de l'argent comme chez nous. Quelle est leur valeur, et pourquoi ? Oui, qu'est-ce qui fait la valeur de notre or, n'est-ce pas aussi une convention, une illusion, qui nous fait croire que notre monnaie a de la valeur ? Si l'on voulait échanger quelques-unes de ces pierres carrées ici sur Terre, on n'en obtiendrait rien qu'une croûte de pain. Ce que nous devrions estimer, le travail utile et honnête, a été depuis longtemps déprécié par l'idole fabriquée de nos mains. Les apparences, les conventions ont prévalu et ont créé des trésors, que dévorent la rouille et les mites.

Upal s'est éloigné de la caisse et une impulsion énigmatique me force à le suivre. Il sort maintenant de la puissante bâtisse et se trouve à l'intérieur des murs de la ville devant une place qu'il traverse rapidement. L'homme respire profondément, il tâte machinalement le trésor caché dans son vêtement, jette un dernier regard sur le bâtiment qu'il vient de quitter et se hâte dans les ruelles de la ville.

Je vois partout des maisons bâties de façon particulière. Je ne peux que les comparer à celles de l'Orient. Elles ont des toits plats couverts de magnifiques plantes en fleurs, semblables aux jardins suspendus de Sémiramis. Les fenêtres sont hautes et larges, on peut voir à travers des pièces bien aérées, où des rideaux voilent beaucoup d'ouvertures. Le verre semble ici inconnu, mais j'observe partout des stores roulants d'une matière transparente et solide que je ne connais pas, qui semble remplacer les vitres de verre. Les maisons, qui ne possèdent que deux étages, sont bâties tout en longueur et pourvues pour la plupart d'ailes qui enferment un jardin. Un air tiède souffle partout. Les hommes sont tous très musclés, bâtis en force et de haute taille. Cette particularité doit être dûe au fait que les propriétés physiques de cette planète sont différentes de celles de notre Terre, déjà à cause de son éloignement plus grand par rapport au soleil et aussi à un temps de révolution différent. Je m'aperçois soudain que l'atmosphère semble être plus épaisse ici et que la pression est plus grande. J'essaierai plus tard d'éclaircir ce point, car je voudrais pénétrer plus profondément dans les secrets de l'univers qui s'ouvre à moi.

Upal est parvenu dans un quartier aux maisons beaucoup plus petites, il faut peu d'observation pour reconnaître que c'est un quartier très pauvre. Les maisons sont basses, étroites, beaucoup ne sont que des cabanes. Il s'arrête à présent et se tient immobile devant l'une d'elles, examinant les alentours. La rue est vide, on n'aperçoit aucune silhouette humaine. Il frappe à une porte basse en bois lourd. Une voix demande de l'intérieur qui vient la déranger. Lorsqu'il prononce son nom, un cri étouffé se fait entendre et la porte s'ouvre précipitamment. Une vieille femme, d'aspect tout à fait misérable, dont tous les gestes expriment la détresse et le souci, ouvre et regarde le nouveau venu avec l'expression de la plus grande surprise et incrédulité.

Lorsqu'elle constate que l'incroyable est la réalité, elle s'exclame et se jette à son cou. Le coeur d'une mère est bien le même sur cette terre étrangère !

Upal se dégage doucement des bras de sa mère qui verse des pleurs de joie et la mène avec attention vers une porte entrouverte, d'où l'on entend une voix inquiète s'enquérir de ce qui se passe. Tous deux entrent et Upal se dirige rapidement vers une couche où repose un vieillard souffrant. La même scène se reproduit. Upal s'agenouille aux pieds de son père malade. Les deux vieillards ne cessent de lui poser des questions. Upal explique son histoire tandis que l'étonnement et la joie rendent muets les deux vieux, apprenant qu'il revient comblé de richesses pour avoir découvert la pierre d'Oro.

Upal sort ses trésors de son vêtement et montre l'assignation qui lui permettra d'en recevoir encore beaucoup. Grande est la joie des vieilles gens. La sombre misère qu'ils subissaient prend donc fin maintenant. Tandis que la mère s'affaire à préparer quelques mets, d'un air complice, le père demande à son fils :

- As-tu fait ce que je t'avais enseigné ?

- Oui, ce n'est qu'à toi que je dois ma trouvaille. Mais nous en reparlerons plus tard ! répond le fils à voix basse.

Upal donne à sa mère une partie de son trésor, et la prie de lui préparer le meilleur repas tandis qu'il restera auprès de son père. Sa mère acquiesce volontiers et s'éloigne chercher ce qu'il y a de meilleur, non sans prononcer encore les paroles les plus tendres. Le père et le fils sont seuls à présent. Le vieillard s'est levé de sa couche. Une grande force a dû autrefois habiter ce corps désormais ravagé par la maladie et la misère. Maintenant que la joie de retrouver son fils ranime ses forces éteintes, on devine ce que le vieillard fut dans sa jeunesse. Si Upal ressemble à son père, en dépit de sa force, il ne semble pas qu'il soit tout à fait l'image de ce que fut celui-ci dans sa jeunesse, ainsi qu'il m'avait tout d'abord paru en regardant le vieil homme.

Celui-ci tend la main à son fils et l'attire affectueusement à son côté.

- As-tu beaucoup souffert pendant la longue période que tu as passé là-bas ? demande-t-il d'un ton soucieux.

Un éclair sauvage traverse les yeux d'Upal. Toute la haine longtemps contenue se reflète dans son regard et du plus profond de son âme amère, il s'écrie :

- J'ai souffert indiciblement, mais je n'aurai pas souffert pour rien. Ils l'expieront le jour où le Père tout-puissant me permettra de le leur faire payer ! Tous devront en crever, tous !

- O mon fils ! Celui qui se venge lui-même enlève au Père la Justice ! Il est le Seul à pouvoir sanctionner en toute justice. La souffrance subie est encore trop fraîche dans ton coeur, laisse le temps l'apaiser. Que des pensées de paix pénètrent ton coeur !

Upal se domine et baisse les yeux sans rien dire. Le vieillard continue :

- Tout a tellement changé depuis ma jeunesse, qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que je puisse beaucoup apprendre de toi, au sujet de ce qui se passe encore aujourd'hui dans les grottes du Wirdu. De mon temps, du vivant de notre dernier bon roi Maban, c'était un honneur de rechercher la précieuse pierre d'Oro. C'était un acte héroïque qui était entrepris pour son audace et pour les vertus que possède la pierre. On trouve aussi le Rod à d'autres endroits de Mallona mais ce n'est que dans les grottes du Wirdu qu'on trouve la précieuse pierre d'Oro.

" Jadis, jamais le Rod et la pierre d'Oro n'ont été recherchés avec autant d'avidité. Jamais un homme n'a été sacrifié dans ce but. Des hommes libres, audacieux, bravaient le danger par amour du peuple et du roi. Maintenant, ce sont des prisonniers de guerre et les bourgeois qui ne peuvent rembourser leurs dettes qui y sont entraînés et forcés.

" O Roi Areval, quand ton avidité sera-t-elle satisfaite ?

Upal grince des dents lorsqu'il entend ce nom et les paroles qu'il prononce sont sifflantes, tant est grande son indignation.

- Jamais l'avidité de ce monstre ne sera satisfaite ! Que ce monarque de Mallona soit maudit, lui qui oppresse le pays, assassine les bourgeois ! Lui qui m'a précipité dans ces abîmes pour une malheureuse dette que nous ne pouvions pas payer. Qu'il soit maudit jusqu'à ce qu'il ait payé la dette dont il s'est chargé !

Le vieillard se redresse très haut, il considère son fils d'un regard sérieux et triste. D'un ton affectueux mais plein de reproches, il lui déclare :

- Upal, le Roi Areval m'a ravi ce que j'avais de plus cher : ta soeur Fedijah ! Et je ne l'ai pas maudit ! Le Père a dit: C'est à Moi de faire Justice ! Ne te laisse pas ravir par Areval la foi en Lui, le Maître du Monde. Lui qui, dans Sa Sagesse, laisse encore sur le trône un tel roi, qui t'a permis de trouver la pierre d'Oro et t'a ramené à l'abri dans la maison de ton père ! Mon fils, ma douleur a été grande, lorsque Fedijah m'a été ravie par la faute d'Areval. Elle ne pourrait être plus grande qu'en voyant ton âme mourir, détruite par lui.

Upal prend la main de son père et la pose sur son coeur en signe du plus profond respect. D'une voix redevenue calme, il ajoute :

- Père, seule ma foi en Dieu m'a soutenu. Sans elle, je ne serais pas là. Je sais que je suis destiné à accomplir une grande chose, et, par ma vie, je l'accomplirai !

Il a parlé les yeux brillants et le vieillard inquiet lui demande :

- Tu me caches quelque chose, mon fils, quel projet as-tu ?

- Je ne te cache rien, père, tu doit tout savoir, tout ! Il me faut te raconter ce que j'ai appris dans les grottes du Wirdu.

" Le jour où je fus condamné à chercher en tant qu'esclave le Rod blanc pour payer les dettes non remboursées, tu me fis part de l'expérience que tu avais acquise jadis dans les grottes du Wirdu, dans l'espoir qu'elle pourrait me servir. Ton souci pour moi fut récompensé, car cette caverne profonde que tu atteignis jadis et dont tu avais gardé secrète l'existence au plus profond de ton coeur - sachant bien le peu de bonheur qu'apporteraient les trésors qui y sont enfouis - cette caverne, je l'ai retrouvée.

" Ce ne fut pas facile de pénétrer jusqu'à elle. On a percé dans la roche d'innombrables galeries pour atteindre ces couloirs naturels, ces vastes cavernes et ces abîmes créés par le feu où se trouve serti dans la roche le Rod blanc. Toutes les galeries artificielles aboutissent aujourd'hui, comme de ton temps, à une rivière souterraine, dont la surface est toute fumante de la chaleur dégagée par le feu central. Tu sais qu'elle constitue la frontière entre la mort et la vie. La puissante voûte rocheuse que traverse la rivière est toujours la même : c'est la seule porte qui conduit aux profondeurs affreuses qui, pleines de vapeurs étouffantes, cachent les trésors d'Areval, le Rod blanc et la pierre d'Oro. J'avais suivi avec soin ton conseil d'observer exactement les marées de la mer, parce que le plus ou moins grand danger des vapeurs dépend étroitement de celles-ci. Au bout de quelque temps, je sus qu'il n'était possible d'atteindre les profondeurs que lorsque le flux de la mer n'empêche pas les vapeurs volcaniques délétères de sortir dans la région des cratères inaccessibles de Marda, séjour du mauvais démon Usglom, celui que le plus ardent désir d'Areval est de vaincre.

" J'ai donc trouvé l'endroit que tu m'avais décrit au bord du fleuve souterrain et je vis, le coeur débordant de gratitude, le petit signe que personne n'avait remarqué, que tu gravas jadis dans la roche, sans te douter qu'il sauverait ton fils. En face de cet endroit, je trouvai sur l'autre rive l'entrée presque comblée d'un couloir, où tu avais dû pénétrer jadis, mais qu'aucun des autres esclaves condamnés comme moi à ce travail n'avait jamais remarquée. Une fumée irrespirable me sembla constituer la preuve que ce couloir descendait au plus profond, si bien que je dus d'abord renoncer à y pénétrer. Mais bientôt, je remarquai que la fumée s'échappait du couloir uniquement à l'heure de la marée montante et qu'en dehors de ces heures il n'était pas dangereux d'y pénétrer pour la durée de presque une demi-journée. Je décidai d'essayer, car Ssi j'atteignais le but recherché, je retrouverais la liberté. Si tu avais trouvé jadis, toi, en tant qu'homme libre, la pierre d'Oro à cet endroit, tu n'avais pas ramené tout le filon, mais laissé sur place une bonne partie de tes trouvailles, chassé par les vapeurs qui montaient. Il me fallait maintenant les découvrir ; de la réussite dépendaient liberté et richesses.

" Muni de manga, d'outils et de vivres (qui sont donnés en abondance à l'esclave qui déclare entreprendre une expérience mortelle pour découvrir le trésor), je descendis, veillant à ce que personne ne remarque quel chemin je prenais. J'avais bien choisi le moment. C'était presque la fin de la marée, lorsque je me trouvai à l'entrée du couloir. Il en montait encore une légère vapeur. Bientôt celle-ci cessa complètement et un air plus frais se mit à souffler lorsque je pénétrai dans le conduit. Je n'avançais qu'en rampant, des blocs de rochers fermaient le passage, j'écartais à grand peine les obstacles. Enfin, le chemin descendant à pic vers les profondeurs s'élargit et fit un crochet dans la direction où l'on cherche en général les trésors.

" Il se divisa en deux bras, et je choisis celui de droite. Tu m'avais dit, en effet, que l'autre bras menait à un abîme sans fond qui ne laisse aucune chance de survie à celui qui y tombe. Je dus ramper à nouveau au milieu d'étroites fentes rocheuses et atteignis alors la magnifique petite grotte que tu m'avais décrite, d'où le Rod blanc semble fixer depuis le rocher l'imprudent visiteur. Tu m'avais dit qu'il y avait à l'extrémité de la grotte un précipice, d'où montait le gaz empoisonné, tourbillonnant sous l'effet d'inexplicables courants d'air et aspiré dans une cheminée à une hauteur impossible à voir. Je regardai dans l'abîme mais aucune vapeur n'en montait plus. Les puissances souterraines du feu et de l'eau ont causé des changements au cours des ans. Devant moi, le profond abîme était calme et silencieux. Sur le bord, je vis briller une étoile au-dessus de moi à une hauteur incommensurable. C'était la lumière du soleil qui filtrait à travers une déchirure du rocher et éclairait d'une lueur blafarde l'abîme insondable.

" Je reconnus le lieu où je me trouvais. C'était l'endroit d'où le feu avait été jadis chassé par la puissance de l'eau, dont j'entendais encore le murmure dans les profondeurs. J'étais dans une marmite à sec, arrachée au dieu du feu Usglom. Celui-ci, vaincu, avait dû abandonner ses trésors. C'est un des rares endroits, à l'abri des vapeurs, qui permet au chercheur de prendre sans peine aucune les richesses amoncelées.

" Je n'avais plus à craindre les vapeurs, qui montaient auparavant par cette cheminée éclairée par le soleil et qui t'avaient chassé. Car le flux de l'eau mugissant des profondeurs empêchait leur dégagement. J'avais donc le temps et le loisir d'explorer exactement cette grotte. Après une courte recherche, à la lumière du manga, je trouvai sur les murs l'endroit où tu avais rompu la pierre d'Oro et aussi l'autre moitié encore solidement incrustée dans le Rod, qu'Usglom ne t'avait pas permis d'emporter. J'emportai ma trouvaille et en cachai un morceau dans ma bouche, avant de rendre la pierre, espérant le sauver pour toi. Il doit te rendre la santé, père ! Ce n'est rien de voler le trésor du roi, lui nous a ravi beaucoup plus.

Upal posa devant son père étonné une petite pierre brun foncé, qu'il sortit de son vêtement. Celui-ci s'en saisit avidement et la considéra d'un regard illuminé.

- Oui, la voilà, la pierre rare et précieuse qui peut me rendre la santé et me la rendra. Cache-la bien, mon fils, moi non plus je ne considère pas comme un crime le fait de la dérober à l'intention de ton père ; car j'ai un droit certain sur cette trouvaille.

- Si l'étonnement de me voir rapporter la pierre d'Oro ne leur avait pas fait oublier de me fouiller, elle ne serait pas maintenant en ta possession, dit Upal en souriant. Mais écoute-moi encore. J'ai été pris du désir d'explorer de plus près le précipice. Car il me semblait à peu près certain que celui-ci devait contenir encore bien plus de richesses que la caverne dans laquelle je me trouvais. J'ai découvert une voie descendante, je me suis attaché à la corde que j'avais emportée, j'ai fixé l'autre extrémité à un rocher et je me suis laissé descendre plus bas dans l'abîme. Un peu plus bas, j'ai trouvé une large fente dans la muraille abrupte, je m'y glissai et je parvins ainsi dans une grande caverne ronde.

" Père, toute la splendeur du Roi Areval ne peut donner qu'un reflet de ce qu'Usglom a créé en ce lieu. Un trône du prince Welskee s'est offert à ma vue. L'éclat des pierres précieuses se reflétait dans ma main en milliers de cristaux. Le plafond, le sol en étaient couverts comme si le rocher les sécrétait. Et plus loin, toujours plus profond, j'ai pu errer dans la grotte encore jamais admirée par aucun oeil humain. C'était certainement la première fois qu'un enfant de Mallona pénétrait dans cette grotte du Wirdu. Le Rod blanc, la pierre d'Oro se trouvent dans cette pièce en nombre insoupçonné. On y trouve par milliers les pierres les plus précieuses qui ornent la couronne d'Areval. Une telle richesse entre les mains d'un seul homme ferait de lui le maître du monde.

- Et tu n'as rien dit de ce que tu avais découvert ? demanda le père d'Upal gravement.

- Non, je me suis tu et je ne livrerai rien non plus à Areval, car il ne doit pas profiter de ce que j'ai découvert. N'as-tu pas dû, toi aussi, promettre au sage Maban de ne pas parler de ton voyage au Royaume de la Mort ? Il savait bien le peu de bonheur qu'apportent les richesses que cache à elle seule la petite caverne connue de nous deux seulement. Et comme il me conjurerait à nouveau de me taire, s'il vivait encore et apprenait ce que j'ai découvert... Non, Areval n'en saura jamais rien, jamais ! Qu'il se trouve seulement devant moi, le roi superbe, qu'il me pose seulement des questions ! Ils entendront une description de mon voyage au Royaume de la Mort, lui et son hypocrite chancelier, qui ne leur fera jamais et jamais trouver ce que j'ai vu.

Dans l'entrée, des pas traînants se font entendre. C'est la mère d'Upal qui revient avec ses achats. Tous deux échangent rapidement un regard de connivence. Upal cache la pierre d'Oro dans son vêtement et il salue sa mère en la louant de ses achats, tandis que celle-ci sort joyeusement les victuailles de son panier et les offre aux hommes affamés.


LE PASSÉ DU ROYAUME DE MALLONA

La force qui m'avait conduite en cette demeure s'empare à nouveau de moi et m'emmène loin de la chaumière d'Upal. Je souhaitais, en effet, approfondir le mystérieux destin de la famille d'Upal.

Et, lorsqu'un souhait passe en moi à l'état de volonté, je me sens emportée et je vois apparaître de vivantes images qui me fournissent la réponse. Je regarde et dois me taire afin de pouvoir saisir les aventures qui se succèdent rapidement et qui sont liées entre elles. Je vais à présent les décrire.

Beaucoup de temps s'est écoulé depuis que régna Maban, père du Roi Areval actuellement sur le trône. C'est Maban qui fonda le grand royaume de Mallona. Car avant lui plusieurs rois régnèrent sur les quatre continents de la planète. Les noms de ces continents sont : Nustra, Monna, Sutona et Mallona. Le roi de Monna était le dernier de sa race et Maban devint par héritage également roi de ce pays. Les deux royaumes étaient cependant séparés par la mer, comme l'Asie l'est de l'Amérique. Or il était plus facile de communiquer entre Monna et Nustra - qui est rattaché à Mallona comme l'Europe l'est à l'Asie - que de communiquer directement de Mallona à Monna. De même que, sur la Terre, la distance séparant l'Europe de l'Amérique est plus courte par dessus l'Atlantique qu'en passant par l'Asie. De plus, la distance séparant ces deux continents est encore plus courte que la distance formée par l'océan Atlantique sur Terre. Il était donc de l'intérêt de Maban de conclure une alliance étroite avec le Roi de Nustra. Avant tout parce que le puissant royaume des Sutons, sous la tyrannie de Ksontu, tendait à la domination des autres pays et que de longues guerres sanglantes, de la plus grande cruauté, avaient été menées pour cette raison entre Maban et le roi des Sutons. L'alliance fut donc conclue car, fatigué par les guerres, le peuple de Nustra espérait pouvoir vivre en paix sous Maban sans être dérangé par Ksontu. Il espérait, en effet, que la réunion des trois royaumes imposerait le respect au roi des Sutonniens.

Mais Ksontu, conscient de sa puissance, ne craignit pas les trois royaumes réunis. Il prit le risque de s'emparer de tout le pouvoir ou d'en périr. Le sous-sol de son pays était pauvre en trésors, contrairement à celui de Mallona, mais le peuple des Sutonniens était fort et frugal, bien que rustre et ignorant.

Ce fut la guerre. Après que Maban eut conclu alliance avec le royaume de Nustra, depuis son royaume situé le plus au sud (comme l'est l'Afrique), Ksontu attaqua le nouvel allié affaibli de Maban et il le soumit facilement. Avec toute sa puissance guerrière, Maban se précipita au secours de son allié, et longtemps l'issue de la guerre fut indécise. La stratégie calculée et habile de Maban l'emporta finalement sur la vaillance primitive de Ksontu. Vaincu, Ksontu dût payer un tribut. Mais Maban sut apprécier la vaillance du roi et du peuple vaincus. Craignant quelques révoltes ultérieures, il chercha les moyens d'obtenir pacifiquement une réconcialiation entre les races sans tenir compte de la force de l'épée.

Il épousa la fille de Ksontu, fit ainsi d'elle la reine en titre, et gagna par cet acte l'amitié de son ancien ennemi. Car selon les lois des quatre royaumes, la succession au trône pouvait être assurée non seulement par la voie de descendance, mais aussi par les ascendants, au cas où il n'y aurait pas de descendant. Grâce à cette mesure prise par Maban, Ksontu fit donc immédiatement figure d'héritier direct du trône, jusqu'à la naissance d'éventuels héritiers issus du mariage de Maban avec sa fille. Il jouissait d'une totale confiance, il représentait le roi et devint ainsi sans difficulté souverain des Sutonniens pour le reste de ses jours.

Il reconnut les intentions généreuses de son gendre et, comme il n'avait aucun héritier, à l'exception de sa fille, et qu'il était lui-même beaucoup plus âgé que Maban, il se plia volontiers à sa nouvelle situation et resta en bons termes avec le puissant Maban. Seule la vivacité de son caractère demeura souvent gênante pour Maban, devenu ainsi monarque absolu de Mallona tout entière. Mais il ne fut pas nécessaire à Maban d'user longtemps d'indulgence envers Ksontu. Car celui-ci, habitué aux entreprises guerrières, à des moeurs grossières, à une grande simplicité de vie et même aux privations, subit rapidement le même sort que beaucoup de despotes de notre Terre qui se jettent dans le tourbillon des plaisirs et des vices qu'ils ne connaissaient pas, après avoir remplacé leur ancienne simplicité de vie par un luxe outrancier. La nature puissante, avide d'action de Ksontu s'enlisa peu à peu dans la jouissance. La mort le surprit au milieu des multiples plaisirs auxquels il se livrait à l'excès.

Maban fut ainsi le maître incontesté de la planète entière et celle-ci prit le nom de son royaume : Mallona. Du mariage de Maban avec la fille de Ksontu naquirent deux fils, Muhareb et Areval, tous deux très différents de caractère. L'aîné, Muhareb, hérita des qualités les plus nobles de son père, il était sérieux, chercheur, animé d'un profond sentiment religieux, d'une droiture et d'une justice inébranlables.

Dès son plus jeune âge, il surpassait ses camarades en intelligence et en jugement. Il pouvait être profondément attristé devant le malheur des autres et ressentir les plus grandes joies devant le bonheur de ses proches et même d'étrangers. Son éducation fut celle qui convenait au futur héritier du puissant royaume, mais il fut inutile de tenter de lui apprendre au cours des ans les détours d'une politique prétendument habile. Son sens de la justice et de la vérité se refusait à tout subterfuge. Il voulut agir ouvertement et sans mensonge, à la grande crainte des conseillers du Roi Maban, qui intriguaient en toutes occasions pour atteindre leurs buts. D'autant que Maban n'était pas hostile au principe selon lequel la vérité doit parfois être voilée, pour atteindre d'autant plus sûrement le but recherché.

Régner sur un aussi grand royaume présentait bien des difficultés. Administrer les quatre grands fiefs, qui correspondaient aux quatre continents constituant Mallona, nécessitait une sage répartition des pouvoirs ; chacun des quatre royaumes réunis possédait à sa tête un vice-roi, dépendant uniquement de Maban, nommé non à vie, mais soumis à la faveur du roi. Maban avait le pouvoir de détrôner et de couronner selon son gré. Les revenus de tous les états étaient administrés depuis la capitale. Habilement, il ordonna tout à peu près de telle façon qu'aucun royaume, sauf le sien, ne soit jamais dirigé par des hommes originaires de ce pays, mais toujours par des fonctionnaires nés dans un autre pays. Il sauvegarda par un changement incessant de ces fonctionnaires les intérêts locaux et renvoya obligeamment chez eux au bout d'un certain temps ceux qui éprouvaient quelque nostalgie pour leur pays natal.

Il réussit de cette façon à faire en sorte qu'un intérêt seulement relatif lie les fonctionnaires du royaume au siège de leur activité, afin que ceux-ci n'en viennent pas à des compromis avec le peuple pour satisfaire des intérêts locaux. Son autorité grandit en effet, mais en même temps qu'elle, se constituait lentement un régime austère qui, s'il venait à tomber entre des mains injustes, serait en mesure de provoquer par la suite des drames terribles, Maban savait et croyait pouvoir éviter toutes conséquences fâcheuses pour l'avenir, grâce à sa puissance totalement autocratique, et par une éducation méticuleuse des hauts fonctionnaires.

Il interdit l'exploitation du sol en tant que propriété privée. Tout appartenait à l'état qui distribuait la propriété foncière aux citoyens honorables. Ils n'en avaient pas la possession à titre privé, mais devenaient responsables des différentes communes auxquelles ils étaient préposés et au bien desquelles ils étaient chargés de veiller. Ils étaient de grands administrateurs de biens qui récompensaient évidemment leurs sujets en abondance selon la valeur du travail fourni. Mais ils rassemblaient les produits de leur royaume de sorte qu'aucun habitant ne puisse obtenir quelque chose directement de son voisin, mais soit obligé dans tous les cas de s'adresser aux grandes maisons d'approvisionnement et aux manufactures qui étaient régies selon des lois très strictes. Mallona était l'exemple de cet état social futur qui est sur Terre le but de certains partis.

Le Rod blanc servait déjà alors de moyen de paiement. C'est Maban qui avait introduit cette pierre blanche, qu'on trouvait principalement dans son propre royaume. Cette pierre passait jadis uniquement pour un produit rare de la nature, aussi longtemps que sa principale source ne fut pas découverte. Maban trouva les riches carrières de son pays et introduisit le Rod comme moyen de paiement. Pour rendre impossible la possession de l'argent sous forme de monnaie courante et pour fixer et protéger le travail de l'individu, voici le procédé qu'il inventa en tant que mesure de valeur: Tout citoyen qui produisait quelque chose livrait ses produits aux maisons d'approvisionnement. Ou encore il accomplissait les travaux nécessaires dans les fabriques d'état, ou veillait dans le domaine des arts aux distractions des citoyens et il était dédommagé par les caisses publiques et les nombreux centres de paiement du royaume. Car chaque citoyen était un employé de l'état. Les pièces de Rod, de valeurs différentes, qu'il recevait pour un quelconque service, étaient marquées sous ses yeux à l'aide d'une encre indélébile, de son nom et d'un signe qui étaient inscrits officiellement dans les registres. La valeur de son travail était fixée d'après un tarif établi par l'état, si bien que toute injustice était exclue. De plus, les tâches désagréables ou dangereuses étaient mieux rétribuées que celles qui ne demandaient pas d'effort particulier.

La rétribution obtenue n'avait de valeur que pour l'auteur du travail, car celui-ci était le seul à pouvoir obtenir en échange de ses pièces les objets dont il avait besoin. S'il voulait voyager, cela lui était possible. Mais sans autorisation administrative de son pays natal, il ne pouvait rien obtenir dans les autres caisses. Le Rod donné en guise de paiement était rassemblé dans les caisses et renvoyé à la centrale. Là, il était nettoyé de l'encre qui le marquait (dont la fabrication et le transport étaient secret d'état), puis utilisé à nouveau. Ces circonstances financières créaient des conditions de vie très particulières.

Chaque maison appartenait à l'état, les citoyens louaient leurs habitations et payaient leur loyer sur leur salaire. Il était permis de cultiver librement le jardin faisant partie de chaque maison, si bien que l'habitant pouvait subvenir personnellement à ses besoins quotidiens. Comme sur Terre, des villes se formaient en tant que sièges des industries et, de même que le paysan terrien, la population rurale travaillait le sol de son pays. L'évaluation du travail, que chacun pouvait choisir librement, était faite par l'état. La reconnaissance générale d'une égale utilité et nécessité de tous les travaux empêchait presque toute vanité sociale. L'éducation reçue dans les écoles publiques évitait aussi toute compétition, car celles-ci étaient ouvertes à tous et l'on veillait ainsi à ce que la connaissance intellectuelle et pratique soit enseignée également à tous à Mallona.

L'âge aussi était honoré. Après un temps de travail déterminé, les citoyens recevaient le droit de s'approvisionner gratuitement. Mais seuls les malades et les vieillards affaiblis en faisaient usage. Car on considérait généralement comme indigne de passer son temps dans l'oisiveté, notamment parce que le travail des vieils gens était mieux payé que celui des plus jeunes qui, encore en pleine possession de leurs forces, pouvaient travailler plus facilement et plus vite.

Ces caractéristiques de l'administration de l'état, introduites par Maban, provoquèrent d'abord dans le royaume décadent des Nustrans une forte opposition. Mais ils furent obligés par ces nouvelles lois d'abandonner leur vie paresseuse et de travailler sérieusement. Des mécontents essayèrent bien de se révolter, mais Maban ne plaisantait pas et sévit avec sévérité contre les rebelles, de sorte que le peuple, intimidé, s'apaisa bientôt. Le peuple de Nustra comprit bientôt la bénédiction du travail, et comme le caractère du peuple était de prendre volontiers des habitudes de vie régulière, ce fut justement Nustra qui conserva plus tard avec acharnement ces dispositions, lorsqu'Areval, par sa négligence, cessa de poursuivre l'oeuvre de son père.

Maban reconnut bien qu'une telle organisation sociale ne pouvait être durable, que si elle incitait à l'effort le caractère de ses sujets et notamment celui des grands; s'il veillait à ce que la nouvelle génération accepte pleinement ses principes ; si le bonheur et l'abondance régnaient dans le grand royaume et que, de ce fait, misère et privation demeurent inconnues. Le contrôle par l'état de tout le travail et de son estimation devint le plus sûr moyen de venir à bout des résistances, de même que la particularité du moyen de paiement nouvellement introduit. La formation des caractères n'était pourtant pas un petit travail ! Il chercha à l'améliorer en réunissant très souvent autour de lui tous les hommes auxquels il avait confié des responsabilités dans le royaume, ou ceux qu'il pensait mettre en place. Il chercha à influencer ceux-ci par son exemple et à leur inculquer profondément ses principes par son contact direct. Les trois vice-rois durent passer très souvent quelque temps à sa cour, pour le renseigner exactement sur tous les progrès faits dans la direction du pays. Lui-même se persuadait du véritable état des choses en entreprenant de grands voyages sans avertir qui que ce soit. Il était alors d'une sévérité impitoyable, s'il trouvait, lors de ses visites de surveillance, des irrégularités dans l'administration. Mais il reconnaissait le mérite du plus petit de ses fonctionnaires qui accomplissait avec soin des travaux souvent pénibles. Pas étonnant qu'il fut aimé et vénéré de tous, qu'on le considérât même comme le créateur de la paix éternelle.

Pour élever le caractère du peuple aux sommets spirituels d'une culture raffinée, pour entraîner et conserver le courage, la vaillance et la dignité personnelle de l'esprit et du corps, des fêtes furent données qui, semblables aux jeux olympiques, excitaient la compétition de l'esprit et du corps. La poésie, l'éloquence et les arts représentatifs étaient pour cette raison très développés. L'habileté physique devint à la suite de ces fêtes une des premières nécessités de l'éducation de la jeunesse. N'importe qui pouvait gagner à ces fêtes un prix qui était toujours reçu de la main même du roi et apportait l'honneur et différents avantages. Les vainqueurs avaient le droit de demander à Maban une faveur, chacun selon ses goûts, faveur qui était toujours accordée dans la mesure où elle était réalisable. Des académies particulières furent créées pour l'application de nouvelles découvertes qui avaient été faites dans le royaume. Chacun avait l'occasion d'éprouver la valeur des idées qu'il voulait réaliser, de préparer des modèles et de tenter des expériences.

Aucun inventeur sérieux n'avait de problème d'argent, car les ateliers d'état lui fournissaient tout ce dont il avait besoin, dès qu'une idée présentait la moindre chance de réalisation, au comité qui examinait les propositions sans aucune mesquinerie. Maban avait donné l'ordre d'exercer la plus grande tolérance dans ce domaine et il obtint ainsi d'immenses succès dans le domaine de la technique. Des esprits géniaux souffrent par trop sur notre Terre de ne pouvoir réaliser leurs idées par manque d'argent. Les gouvernements terrestres acceptent difficilement les idées non conformistes, les inventions non confirmées, et dont la réalisation nécessite toutes sortes d'expérimentations. Il en était autrement à Mallona : on continuait à expérimenter des projets, même dépourvus de chances de succès, depuis que de nouvelles découvertes d'importance avaient été faites par hasard, à la suite d'erreurs dans les essais qui étaient le véritable but de la recherche. (Car même à Mallona, on trouvait souvent des inventeurs involontaires, comme Böttcher qui, voulant fabriquer de l'or, découvrit la porcelaine !)

La découverte la plus importante pour Maban fut l'invention de voitures extraordinairement rapides qui, sur des routes particulièrement planes, permettaient partout les communications. Leur génie avait réussi à résoudre partout le problème relatif aux difficultés topographiques. Toutes les communes étaient donc reliées entre elles par des routes toutes droites, sur lesquelles des voitures de différentes tailles pouvaient rouler à une vitesse vertigineuse. Naturellement, ce réseau de routes appartenait à l'état ; les voitures étaient aux communes. Leur utilisation était à la disposition de chaque personne désirant entreprendre un voyage plus ou moins long, si elle apportait la preuve de sa nécessité.

Il n'y avait presque pas de navigation maritime. C'était inutile pour relier les royaumes de Nustra et de Monna séparés par l'océan. Car la mer - à certains endroits riche en îles et sans grandes profondeurs - avait été surplombée par les ingénieurs de Maban qui avaient construit des ponts géants d'une île à l'autre et relié ainsi les deux continents à certains endroits. Si la planète Mallona avait été soumise, comme notre Terre, à l'incessant changement des saisons, de violentes tempêtes auraient également agité ses eaux au printemps et à l'automne, et l'art hautement perfectionné des ingénieurs se serait vite heurté à la force des éléments. Mais Mallona avait une position axiale différente de celle de la Terre, ce qui rendait le climat des différentes zones plus semblable, et les saisons beaucoup moins variées. Les variations de température suffisaient cependant à distinguer entre été et hiver, pluie et soleil.

En même temps que la découverte des voitures, un chimiste expérimenté avait inventé un explosif qui possédait une puissance considérable. Sa mise au point fut cependant considérée comme secret d'état et sa fabrication ne fut entreprise que dans des buts bien déterminés et sur ordre du roi. Ce secret assurait la supériorité de Maban sur tous ses ennemis car, grâce à l'énorme puissance de l'explosif, il possédait le pouvoir de détruire d'un seul coup des territoires entiers ! Grâce à ce terrible explosif, il avait en effet détruit pendant la dernière guerre une montagne assez importante couronnée d'une forteresse. Si bien que toute résistance contre un ennemi équipé de la sorte était impossible.

Chose étonnante, cette découverte n'avait pas conduit à la fabrication d'armes à feu, dont la force de destruction n'est d'ailleurs rien, comparée à celle de cet explosif. Mais de puissantes machines à forer et des appareils aussi rapides que des taupes furent inventés pour creuser des galeries souterraines. Des engins balistiques utilisant la force centrifuge pouvaient lancer très loin l'explosif vers un but déterminé. En explosant à grande distance, celui-ci, en volant en éclats, creusait un énorme cratère où tout était détruit.

Maban garda ce terrible secret avec soin, il savait bien qu'il l'avait aidé à s'assurer une puissance sans limite.

C'est sous son règne qu'on commença d'accorder à la pierre d'Oro une très grande valeur. Cachée dans le Rod, on ne la trouvait en effet que très rarement. Etant un produit du feu, on ne pouvait la découvrir que dans les grandes profondeurs, notamment dans les grottes souterraines, que j'ai déjà décrites, de la région des cratères de Marda. On ne pouvait l'obtenir qu'à grands risques. Il y fallait du courage et de la force. C'est pour cette raison que Maban promit de grandes récompenses et des honneurs particuliers à ceux qui la rapporteraient, dans le but de posséder un moyen plus efficace pour tremper les caractères, grâce à cette victoire sur le danger considéré comme un sport.

La pierre d'Oro avait la réputation d'être une médication magique, qui donne longue vie, force et santé à son possesseur. Sous forme de poudre elle avait, croyait-on, le pouvoir de guérir n'importe quelle maladie. Il était naturel que la croyance dans les pouvoirs de cette pierre prit une importance, que ne possédait pas la pierre elle-même. Maban le savait très bien, mais il n'en défendit pas moins tout ce qui pouvait servir cette illusion, car il favorisait ainsi les bases de l'économie : lui attribuer une valeur suprême et la maintenir à la hauteur la plus élevée était le moyen le plus sûr de conférer de la valeur à l'effort et à la victoire sur soi-même. La valeur excessive attribuée à la pierre d'Oro favorisa bien au début les bonnes intentions de Maban, mais elle devint par la suite une source d'exaction et de décadence.

Des années s'étaient écoulées depuis le début du règne de Maban, et ses fils Muhareb et Areval, déjà nommés, étaient devenus des hommes mûrs. Maban mettait toutes ses espérances en son fils aîné, Muhareb, dont la dignité le désignait en tant qu'héritier de son trône. Tandis qu'Areval, ressemblant à son ardente mère, montrait des traits de caractère qui lui rappelaient fâcheusement son gendre Ksontu. Les qualités et défauts d'Areval ne lui plaisaient guère, mais ils lui paraissaient cependant moins dangereux qu'ils ne l'étaient en réalité, puisque la succession au trône revenait de droit à l'aîné.

Areval était intelligent mais rusé et avide de jouissances. Cependant, encore par intelligence, il était demeuré sobre. Il enviait son frère aîné et redoutait en lui le futur souverain. Il souhaitait régner lui-même et chercha à s'entourer d'amis fidèles qui le soutiendraient. Peu à peu, à mesure que son père vieillissait, il conçut un plan secret. Il devint inopinément pieux et joua en face de son père le rôle du plus fervent admirateur de ses projets. Il réussit si bien à jouer la comédie que Maban eût de plus en plus confiance en lui. Il crut que seul le bouillonnement de la jeunesse avait jadis été responsable de ces errements, que l'homme mûr qu'était devenu Areval reconnaissait comme tels et méprisait. Il lui confia l'administration d'un district proche de la capitale. Areval sut si bien lui donner satisfaction, qu'il le nomma au bout de quelques années vice-roi de Nustra. Telle était l'ambition d'Areval. Sa soif de domination avait ainsi rapidement trouvé satisfaction. Dans sa résidence, il n'était plus du tout le maître plein de bonté qu'il cherchait à paraître, bien qu'il se soumît aux lois de l'administration créées par Maban, mais un homme qui restait volontaire et qui, quand il le pouvait, ne connaissait, dans son égoïsme et ses passions, qu'un seul but: se servir lui-même et ses propres désirs.

Les moments qu'il était obligé de passer à la cour de son père lui étaient fort pénibles, car il était alors entièrement soumis à la volonté de ce dernier. Ses désirs n'en devenaient que plus effrénés chaque fois qu'il rentrait dans son royaume. Il ne lui avait pas été difficile de trouver parmi les Nustrans, qui étaient enclins au laisser-aller et à toutes les jouissances, des adeptes de son genre de vie. Ceux-ci ne souhaitaient rien tant que de garder Areval à la tête de leur royaume. Son proche entourage veillait aussi fidèlement à ce que Maban, malgré les quelques rapports qui lui avaient été adressés, restât mal renseigné sur la vie véritable de son fils, tandis qu'Areval couvait en lui, à cause de sa vie dissolue, le germe d'une maladie pernicieuse, qui lui minait le corps et l'esprit.

Au cours des années, la différence entre les deux frères Muhareb et Areval s'était encore accentuée, lorsqu'il devint de plus en plus évident que les ordonnances de Maban ne mèneraient pas aux résultats souhaités, si la population n'atteignait pas un idéal moral élevé. Or, elle en était encore très éloignée. Au début, elle ne se plia que devant la volonté plus forte de Maban, qui savait faire exécuter d'une poigne de fer, ce qu'il avait reconnu comme juste.

Le parti de ceux dont il avait fait des dignitaires, sans distinction de classe sociale ni d'hérédité (hérédité qui joua autrefois un rôle aussi grand à Mallona qu'aujourd'hui encore sur la Terre), vouait certes à son Roi un amour passionné. Cependant, les aristocrates d'antan qui, privés des privilèges de la naissance, des droits de noblesse, d'un traitement à la hauteur de leur titre et de nombreux avantages, ne pouvaient plus passer pour l'élite de la société, nourrissaient contre le régime une haine dissimulée qu'ils transmettaient à leurs descendants. La perte des droits de leurs pères, l'impossibilité d'une propriété privée et d'un pouvoir quelconque, l'égalité sociale et surtout la nécessité de travailler pour vivre paraissaient à ces derniers une monstruosité qu'il fallait absolument supprimer.

Il n'y avait pas à attendre de changement de la part de Muhareb. Sa profonde vénération pour son père, et la reconnaissance des bonnes intentions de celui-ci étaient ancrées en lui bien trop profondément pour qu'il rejette jamais les institutions de son père. Dans les cercles bien informés, on savait qu'il n'y avait aucun espoir de changement avec Muhareb. Mais les chefs des ennemis secrets de Maban espéraient qu'il en irait autrement si Areval montait un jour sur le trône.

Grâce à sa subtile intuition, Muhareb n'ignorait pas ces luttes intestines. Il en souffrait, car il aimait les hommes et prévoyait les luttes qui s'ensuivraient, s'il devait monter sur le trône. Il tremblait à l'idée de devoir verser du sang pour affermir son règne. Il savait qu'Areval gagnait à lui de plus en plus de partisans mais il fut incapable de faire part à son père des rapports qu'il avait reçus, prouvant la conjuration montée contre lui. Il savait trop bien que Maban n'hésiterait pas à sacrifer la vie d'Areval, en cas de nécessité, pour sauver les institutions du royaume. Muhareb eut à soutenir un terrible combat intérieur, dont il sortit vainqueur avec un sentiment de joie. Il se décida à ne rien faire qui puisse entraîner les populations dans une terrible guerre civile, ni à causer la mort de son frère, mais à faire toute confiance à la Force suprême qui avait permis à Maban de parvenir à une telle grandeur. Elle lui ferait trouver à lui aussi le moyen de conserver ce qui était déjà acquis et de le protéger.

C'était la coutume, à Mallona, que les hommes ne se marient que très tard. On exigeait de chaque homme qu'il ait d'abord fait preuve d'ardeur au travail et de force de caractère pour être jugé digne d'emmener une femme chez lui. La raison en était le sentiment religieux des peuples qui était le même, dans ce domaine, dans les quatre grands royaumes. On se représentait la divinité divisée en deux principes, un bon et un mauvais, qui ne s'opposaient pas l'un à l'autre, mais se complétaient. L'enseignement primitif le plus sacré disait : "Ce qui repose dans le sein de la divinité est la Vie et la force de vivre. Tout ce qui sert cette activité est inspiré par la Force divine. S'il devait arriver que cette inspiration s'arrête, c'est que la divinité serait morte."

Selon cet enseignement une mauvaise action était aussi le résultat de la Force divine. On se soumettait donc à elle comme si elle était voulue par la divinité, si l'on n'avait pas assez de force pour l'éviter. De la même façon, on voyait même dans son ennemi vainqueur l'influence de la Force divine et on se soumettait à lui sans murmurer, jusqu'à ce que la force devenue consciente de l'opprimé soit en mesure de secouer le joug. C'est ce qui avait en grande partie causé le succès de Maban.

Le bien, c'est-à-dire tout ce qui était agréable à l'homme, était honoré sous la forme du beau, en tant que principe féminin ; la dureté, la force, la puissance, qui pouvaient porter l'empreinte du mal, représentaient le principe masculin. On considérait qu'une femme belle avait reçu une grâce particulière de la divinité.

L'homme, à qui il fallait agir pour montrer qu'il tendait à devenir une image de la divinité, n'était donc considéré comme digne d'épouser une femme que s'il avait fait preuve de sa force. Cette conception eut souvent pour conséquence que leur beauté physique entraîna souvent les femmes dans les pièges de la vanité. De ce fait, on s'explique facilement que la femme ait pu exercer sur la vie des habitants de Mallona une influence capable de conduire aux plus grands dangers, lorsque la soif de jouissance, la sensualité et la vénalité succédèrent aux moeurs simples des commencements.

On pratiquait en outre dans les temples un culte de la beauté féminine qui, durant des années, conserva sa dignité dans le respect de son sens véritable, aussi longtemps que les moeurs demeurèrent pures, mais qui dégénéra plus tard en orgies sans retenue. Evolution qui eut lieu également dans la Grèce antique, ici sur Terre.

Les hommes les plus hauts placés de l'état pouvaient choisir leur femme parmi les jeunes filles les plus pauvres du pays sans la moindre difficulté. Ce qui arrivait fréquemment. Cependant, l'homme devait s'attendre à ce que la jeune fille le refusât. Ce qui comptait pour la jeune fille était la renommée qu'il s'était acquise dans son propre milieu. Elle ne redoutait rien tant que l'homme de son coeur puisse se rendre ridicule par un acte quelconque. Elle considérait une victoire aux jeux publics comme le plus grand honneur qui puisse échoir au bien-aimé.

Le mariage une fois conclu était indissoluble et l'homme ne pouvait avoir qu'une seule femme. Ceci toujours à cause de la conception religieuse suivant laquelle la dualité de la Divinité agissant en un tout, ne se sépare jamais plus lorsque s'est manifestée en elle une volonté d'action, qui entraîne toujours plus d'actes créateurs. La femme, principe de la vie latente, et l'homme représentant le principe de vie active, ne devaient donc jamais se séparer pour ne pas anéantir la volonté de Vie éveillée en eux. Muhareb avait cherché parmi les jeunes filles de son pays et il avait secrètement trouvé une jeune fille correspondant parfaitement à son idéal. C'était la soeur d'Upal, celui qui eut la chance de découvrir la pierre d'Oro.

Entre Fedijah et Muhareb était né un profond et pur amour, mais Fedijah ignorait qui était Muhareb. Il avait tenu secrète sa haute naissance afin d'être sûr d'être aimé pour lui-même. C'est de cette façon qu'il avait pu se convaincre du trésor de pureté, de vertu et d'amour véritable qu'il avait découvert dans la jeune fille. Il était fermement décidé à l'épouser. Aucune difficulté ne se présentait à la réalisation de ce voeu, les circonstances sociales sus-mentionnées justifiant le mariage de toute jeune fille avec un homme très haut placé dans son pays, et Fedijah était d'une beauté parfaite.

Lors d'une cérémonie commémorant la naissance de la divinité, fête qui passait pour être la plus importante de l'année, les plus belles jeunes filles furent désignées pour le service divin dans le temple. Fedijah fut choisie pour officier à la cérémonie du sacrifice par le feu. Alors qu'il passait quelque temps à la cour de son père, Areval la vit à cette occasion, et il éprouva une profonde passion pour la jeune fille. Grâce à des amis qui lui étaient entièrement dévoués, il apprit bientôt qui était la belle officiante et, un jour, Fedijah disparut sans laisser aucune trace. Lors de la cérémonie, Muhareb, debout à côté de son frère, avait remarqué le regard éperdu d'admiration qu'eut celui-ci devant l'aveuglante beauté de Fedijah et il l'avait soupçonné d'une passion secrète, car il connaissait trop bien le masque de vertu que savait revêtir son frère.

Aussitôt après la disparition de Fedijah, Areval retourna dans son royaume. Convaincu que c'était son frère qui avait enlevé sa fiancée, et qu'il projetait de la conduire de force dans son royaume, Muhareb précéda son frère avec une voiture beaucoup plus rapide que la sienne et donna les ordres nécessaires pour arrêter la suite d'Areval dans un lieu peu fréquenté. Rendu furieux par la soudaine interception, Areval, en despote absolu, s'apprêtait à réagir contre les hommes qui entouraient sa voiture. C'est alors qu'il se trouva face à face avec Muhareb, entré seul dans son véhicule, l'épée à la main, pour le fouiller. Il trouva Fedijah, endormie par des narcotiques, et cachée sous des couvertures, dans un état qui prouvait qu'Areval méprisait les sentiments les plus sacrés que le peuple liait à la beauté féminine.

Fou de colère et de douleur, il leva son épée contre son frère et l'aurait tué si celui-ci, craignant sa force supérieure, ne s'était, avec ruse, jeté, aussi rapide que l'éclair, derrière le corps de Fedijah, afin de s'en protéger. Muhareb reprit rapidement le contrôle de lui-même et put ainsi éviter le meurtre de son propre frère. Il ordonna à Areval de lui obéir et de ne pas quitter la voiture. Lorsque celui-ci fit mine de refuser, il se précipita promptement sur lui et le garotta solidement. Puis il donna aussitôt l'ordre de revenir vers la capitale.

Les amis d'Areval et de Muhareb avaient, certes, remarqué qu'une dispute s'était élevée entre les deux frères à l'intérieur de la voiture, mais aucun n'avait osé y pénétrer. L'ordre de Muhareb fut reçu en silence et, à toute allure, ils prirent le chemin du retour.

Personne ne souffla mot pendant tout le voyage. Fedijah restait prostrée dans un profond assoupissement. Arrivé au but, Muhareb la confia, toujours sans connaissance, à un fidèle serviteur qui la conduisit chez ses parents. Lui-même obligea Areval à le suivre auprès de Maban et à s'expliquer avec lui. Celui-ci s'indigna, certes, devant l'acte de son fils, qui était beaucoup plus qu'un méfait selon les lois en vigueur. Mais il chercha cependant à réconcilier les deux frères à cause du terrible scandale que provoquerait leur discorde auprès du peuple. Muhareb persista à demander à son père la punition de son frère. Car il était persuadé que seul l'exemple d'un sévère châtimènt pouvait encore donner à réfléchir à ceux qui avaient été dévoyés par Areval. Il voyait loin et savait que le déclin des vieilles croyances, le mépris des convictions sacrées ne pouvaient être arrêtés que par l'extermination totale du mal. Mais, devenu vieux, Maban était d'opinion différente : il lui importait davantage de sauver les apparences, car il croyait pouvoir éviter ainsi l'ébruitement et toute conséquence ultérieure. Muhareb représenta à son père tous les dangers de cette façon d'agir et il lui montra où cette sorte d'indulgence mènerait les moeurs de ses sujets. Maban resta sur se décision et ordonna même à son fils de se taire et de pardonner à Areval.

A peine cet ordre était-il sorti des lèvres de Maban que Muhareb se leva, jeta un regard sur son père et sur Areval triomphant, s'inclina en silence et s'en alla. Dès cet instant, Muhareb, et peu après Fedijah, disparurent. Personne ne les a jamais revus. Les années passèrent. Maban vieillissait à vue d'oeil, la perte de son fils aîné lui dévorant le coeur. Il mourut et Areval devint roi de Mallona.

Chapitres 6 à 9